Musique et droit: Mon remplaçant me prend des élèves : que puis-je faire pour m’y opposer?

Exemple inspiré de la pratique du conseil juridique de la Société suisse de pédagogie musicale. Yvette Kovacs, docteur en droit, conseillère juridique de la SSPM et avocate à Zurich, répond aux questions des membres de la SSPM.

Question d’un membre de la SSPM : Travaillant dans une école de musique, j’ai organisé un remplacement pendant une absence pour un congé non payé. A mon retour, j’ai constaté que j’avais perdu de nombreux élèves, qui suivent désormais des cours privés chez mon remplaçant. Puis-je faire quelque chose pour m’y opposer?

Réponse d’Yvette Kovacs: Le cas ci-dessus est un problème qui se rencontre fréquemment. Quand un professeur est absent pendant un certain temps pour cause de maladie, de gros-sesse ou de maternité ou qu’il prend une année sabbatique, un remplacement doit être or-ganisé pour ses élèves soit par l’école de musique, soit par l’enseignant lui-même. Il arrive alors que les élèves préfèrent le remplaçant et souhaitent rester chez lui, ou qu’ils soient encouragés par ce dernier à venir chez lui. La situation juridique qui en découle n’est pas simple:
La relation entre les élèves d’une école de musique et leur enseignant n’implique aucune obligation de rester chez ce professeur. Au contraire, l’élève peut changer d’enseignant en respectant les délais prévus dans le cadre des règlements contractuels en vigueur avec l’école.
En général, il n’existe pas de relations contractuelles entre le professeur et son remplaçant et il n’est donc pas interdit de reprendre des élèves.
L’école de musique et le professeur de musique en congé sont liés par un contrat d’engagement. Celui-ci permet toutefois à l’école de procéder à des changements d’élèves moyennant le respect des dates et délais de résiliation prévus. Cette possibilité n’est limitée que si le contrat d’engagement prévoit une garantie du taux d’activité. Dans ce cas, l’école doit veiller à ce que ce taux soit maintenu et est tenue de payer le salaire même si les élèves correspondants ne suivent plus de cours chez ce professeur. Malheureusement, cette garantie du taux d’activité se rencontre rarement.
-La relation contractuelle entre l’école de musique et le remplaçant est aussi un contrat de travail. En vertu de l’art. 321 a du code des obligations (CO), le travailleur doit exécuter avec soin le travail qui lui est confié et sauvegarder fidèlement les intérêts légitimes de l’employeur. Il s’ensuit que le professeur ne doit pas faire concurrence à son employeur pendant la durée des rapports de travail. Lorsque ce rapport de travail touche bientôt à sa fin, le travailleur a toutefois le droit de préparer une activité faisant concurrence à son em-ployeur, pour autant qu’elle ne porte pas préjudice à la position de ce dernier sur le marché. Le devoir de fidélité prend fin avec l’achèvement du contrat de travail. Mais si un rempla-çant cherche activement à reprendre des élèves de l’école de musique pendant la durée du contrat de travail en cours et les incite à suivre des leçons privées chez lui à la fin du rapport de travail, il enfreint son devoir de fidélité et est passible de poursuites civiles, voire pé-nales. Par exemple, distribuer des cartes de visite mentionnant l’adresse privée, le numéro de mobile, l’adresse e-mail privée, etc., constitue une violation flagrante du devoir de fidéli-té et est donc interdit. Dans ce cas, le remplaçant peut être tenu de verser des dommages-intérêts (prélèvement de gain sur les leçons données) et condamné pour manquement. Pé-nalement, ce genre de cas peut relever de la gestion déloyale. Un cas clairement illégal est celui où le remplaçant incite les élèves à rompre leur contrat, autrement dit à changer de professeur pour suivre des cours chez lui sans respecter les dates ou délais de résiliation en vigueur. En l’occurrence, l’art. 4 let. a de la loi sur la concurrence déloyale (LCD) offre des possibilités d’agir, car il s’agit d’une action considérée comme déloyale qui est interdite et passible de poursuites pénales.
La situation est différente si le remplaçant se contente de signaler à ses élèves qu’il quittera son poste à la fin du semestre pour se mettre à son compte sans leur proposer ses services. Cela est autorisé. Il en va de même si ce sont des élèves qui sollicitent les services du rem-plaçant et que ce dernier accepte simplement de les reprendre sans les y avoir activement encouragés.
Il est souvent difficile de faire la distinction entre départ autorisé d’élèves et incitation illé-gale à changer de professeur ; et surtout se pose le problème dans la pratique que l’employeur ou le professeur en congé doivent pouvoir prouver ces activités d’incitation. S’il n’existe pas de preuves écrites (circulaires, etc.) ou que les élèves ne peuvent ou ne veulent pas fournir de témoignage, il est souvent risqué d’intenter une action en justice.
Conclusion: la situation juridique n’offre souvent pas beaucoup de protection contre ce genre de pratiques de la part de remplaçants. C’est pourquoi je recommande instamment que le professeur, avant son congé, passe un contrat avec son remplaçant stipulant que ce dernier s’engage à faire en sorte que l’ensemble des élèves actuels restent auprès du pro-fesseur en congé. Si des élèves ne souhaitent pas rester chez celui-ci, le remplaçant doit être tenu contractuellement de payer une indemnité forfaitaire clairement fixée pour chaque élève qui aurait changé de professeur, indépendamment de la preuve de démarches d’encouragement à changer de professeur ou d’une faute du remplaçant (peine convention-nelle).

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