Musique et droit : Les manifestations musicales en période de coronavirus

Exemple tiré de la pratique du conseil juridique de la Société suisse de pédagogie musicale SSPM : Yvette Kovacs, docteur en droit, conseillère juridique de la SSPM et avocate à Zurich, répond aux questions de membres de la SSPM.

 

Question d’un membre de la SSPM : J’organise périodiquement des manifestations pour les écoles de musique dont je suis employé afin de faire connaître et promouvoir notre activité. Or l’école a annulé la manifestation prévue pour fin mars en raison du coronavi-rus. J’avais déjà commandé les installations techniques, la restauration, etc. et consacré de nombreuses heures supplémentaires à la préparation. Que va-t-il se passer avec ces dépenses et toute la manifestation ?

Réponse d’Yvette Kovacs :

1. L’apparition d’un virus n’a rien d’extraordinaire du point de vue juridique. Nous connaissons no-tamment cette situation avec les épidémies de grippe qui nous frappent chaque année. L’apparition d’un virus particulièrement contagieux, contre lequel il n’existe pas encore de vaccin ni de traite-ment spécifique, nous est également connu du temps de la grippe porcine, de la grippe aviaire, etc. Ce qui est inhabituel aujourd’hui, c’est la dimension planétaire de l’épidémie qui paralyse de plus en plus l’économie mondiale. Cela non seulement en raison des cas de maladie proprement dits, mais aussi à cause de la peur suscitée par la progression constante de l’épidémie, et en raison des me-sures de quarantaine volontaires ou ordonnées par l’Etat à la population.

2. Sur le plan juridique, il convient tout d’abord de vérifier si le contrat conclu entre les parties règle ce type de problème. Si c’est le cas, c’est la solution prévue dans le contrat qui s’applique.

3. Si rien n’est prévu dans le contrat, c’est la réglementation légale qui s’applique. Celle-ci dispose que : L’obligation s’éteint lorsque l’exécution en devient impossible par suite de circonstances non imputables au débiteur. Dans les contrats bilatéraux, le débiteur ainsi libéré est tenu de restituer, selon les règles de l’enrichissement illégitime, ce qu’il a déjà reçu et il ne peut plus réclamer ce qui lui restait dû. Demeurent réservées les réglementations spéciales applicables à certains contrats et prévoyant une autre répartition légale du risque.

Ce qui signifie qu’en cas d’impossibilité objective subséquente (en d’autres termes, si la prestation était encore possible à la conclusion du contrat et qu’elle est devenue impossible par la suite), les deux parties contractantes sont libérées. Les dépenses prévues pour la manifestation ne doivent pas être effectuées et le paiement, lui non plus, n’est pas dû.

4. La question qui se pose est de savoir si l’on est aujourd’hui en présence d’une impossibilité objec-tive et si la clause pour cas de force majeure s’applique à la situation actuelle. En l’occurrence, la doctrine dominante peut être résumée comme suit :
Si l’État interdit la tenue de la manifestation, cette décision entraîne une impossibilité objective sub-séquente de la prestation, et il s’agit donc d’un cas de force majeure.
Jusqu’au 16 mars 2020, la situation était la suivante : les manifestations rassemblant plus de 100 personnes étaient interdites dans toute la Suisse et ne pouvaient pas être réalisées. Pour les mani-festations devant rassembler de 2 à 99 personnes ou présentant un autre risque particulier (p. ex. celles s’adressant surtout à des personnes de plus de 65 ans), l’organisateur devait effectuer une évaluation du risque avec le médecin cantonal. Si la manifestation était interdite, il s’agissait d’un cas de force majeure. En revanche, si elle était autorisée par le canton, il ne s’agissait juridique-ment pas d’un cas de force majeure ou d’impossibilité. L’annulation ou le report éventuels auraient donc dû être qualifiés ici de rupture fautive du contrat. Les partenaires contractuels auraient pu pré-tendre à la totalité de la prestation en espèces même si l’événement n’avait pas eu lieu, sous dé-duction des frais économisés.
Depuis le 17 mars 2020, un nouveau droit de nécessité est en vigueur et toutes les manifestations sont interdites. Celles-ci sont donc objectivement impossibles pour des raisons de force majeure.

5. Pour les employés, la situation est plus favorable, car la répartition générale du risque décrite ci-dessus est régie par une autre réglementation légale : si le travailleur tombe malade, à savoir qu’il est atteint du coronavirus, il a droit à son salaire pendant une durée déterminée, variable selon le contrat et les années de services, et bénéficie d’un protection contre le licenciement pendant la ma-ladie. Il en va de même pour une durée de 3 à 5 jours si ses enfants sont malades et qu’il doit or-ganiser leur prise en charge. En revanche, cette règle ne s’applique pas pour une simple quaran-taine. Dans ce cas, l’école de musique n’est pas tenue de payer, car celle-ci ne relève pas de son risque d’exploitation.

6. Si vous avez pu ou dû réaliser une manifestation avant le 17 mars 2020, vous étiez responsable d’assurer la meilleure protection possible des participants. Il fallait en particulier démontrer que les règles suivantes étaient respectées :

-vérifier au moins une fois par jour dans les sources officielles l’évolution de la menace et les ins-tructions des autorités sanitaires ;
-signaler qu’une annulation ou un report pourraient être décidés à court terme en fonction de la menace et des prescriptions des autorités sanitaires ;
-établir un plan d’urgence précisant quelles mesures doivent être prises et à quel moment, quand la manifestation doit être reportée, respectivement annulée, qui doit informer quelles personnes en cas d’annulation, et qui doit entreprendre d’autres démarches ;
-afficher de façon bien visible à l’entrée les consignes de comportement et d’hygiène en vigueur de l’OFSP ;
-prévoir suffisamment de possibilités de se laver et désinfecter les mains ;
-indiquer aux participants et intervenants que les personnes venant de régions à risque et souffrant de symptômes doivent rester chez elles ;
-vérifier les contrats conclus avec les participants et les spectateurs et essayer de trouver avant la tenue de la manifestation un complément valable régissant les obligations et les conséquences fi-nancières supplémentaires ;
-vérifier les assurances ;
-communiquer les mesures par différents canaux, en particulier en cas de nécessité de reporter ou d’annuler au dernier moment la manifestation ;
-éviter les coûts inutiles, vous avez l’obligation de limiter le préjudice.

Documentez tout ce que vous avez vérifié et entrepris, car vous pourriez devoir prouver beaucoup plus tard dans un procès que vous avez respecté votre obligation de diligence.

7. L’apparition de l’épidémie de coronavirus et ses graves conséquences n’étaient naturellement pas réglées dans les anciens contrats. C’est pourquoi beaucoup d’incertitudes demeurent aujourd’hui quant aux conséquences juridiques pour les particuliers et pour l’économie. Mais le problème est désormais connu et il est clair qu’il se prolongera encore pendant une durée inconnue. C’est pour-quoi je recommande instamment de discuter et régler expressément les questions suivantes pour les futurs contrats de manifestations, ou d’essayer de compléter en conséquence d’un commun ac-cord les contrats existants :

-Quelles circonstances peuvent empêcher le déroulement de la manifestation ?
-Quelle sera la conséquence : annulation ou report ?
-Qu’adviendra-t-il des frais de préparation et des cachets en cas d’annulation ou de report ?
-Qu’adviendra-t-il des billets d’entrée des spectateurs ? Resteront-ils valables pour la date du re-port ? Ou seront-ils entièrement ou partiellement remboursés ?
-Est-il possible/nécessaire de conclure une assurance pour les conséquences économiques ? Qui doit le faire et sous quelles conditions ?

Suivant le risque et la capacité économique, ces clauses peuvent être très variables. Mais compte tenu des graves problèmes actuels, elles doivent dans tous les cas être rédigées avec beaucoup de soin.

8. Réponse à la question concrète du membre de la SSPM : En tant qu’employé, vous avez droit pour toutes vos activités au salaire prévu dans votre contrat de travail, y compris les indemni-sations des heures supplémentaires. Le droit à un dédommagement de tiers tels que techniciens et traiteurs dépend du contrat concret. Si celui-ci ne renferme pas de clause correspondante et que la manifestation a été interdite par l’Etat, ils n’obtiennent pas dédommagement. Si la manifestation n’avait pas été officiellement interdite, ils ont droit en revanche à l’indemnisation complète prévue par le contrat, sous déduction des frais économisés.
Je vous recommande de proposer à l’école de musique d’éviter dans la mesure du possible d’annuler la manifestation, mais de la reporter de manière qu’ensuite toutes les prestations puis-sent être fournies réciproquement par les participants conformément au contrat.
Il a été annoncé que des indemnisations et des prêts seront accordés aux personnes ayant subi un préjudice en raison de ces règles d’urgences. La forme concrète de ces indemnisations et les condi-tions d’octroi ne sont toutefois pas encore connues.

 

 

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