Musique et littérature

Trois livres conjuguant musique et littérature : lettres de Mendelssohn, florilège de von der Weid et écrits de Walser.

Vue de Florence, aquarelle de Felix Mendelssohn, 1830. Source: voir ci-dessous
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Né dans une famille très aisée et cultivée, travailleur acharné, Felix Mendelssohn a eu la chance de pouvoir laisser s’épanouir ses multiples dons, que ce soit pour les études, les activités physiques ou dans différents arts : jeune prodige devenu musicien accompli, compositeur de génie bien sûr, mais également aquarelliste de talent et infatigable épistolier. Entre 21 et 23 ans, il envoie de nombreuses lettres à ses parents, ses sœurs et son frère, formant une sorte de compte-rendu des découvertes, péripéties et rencontres qui ont enrichi son Grand Tour, ce voyage d’éducation que les classes fortunées des pays du Nord (principalement d’Allemagne et d’Angleterre) offraient à leurs descendants mâles afin de parachever leur instruction et développer leurs goûts. Après une visite prolongée à Weimar auprès de son vieil ami Goethe, dont l’ombre tutélaire guide souvent ses pensées, le parcours tout classique du juvénile voyageur l’amène d’abord de l’Autriche aux terres italiennes, dont il jouit de la beauté des paysages tout en déplorant l’état lamentable où s’y trouve plongé l’art musical. A la suite de ce long séjour transalpin, il sillonne la Suisse, en grande partie à pied, surpris par les caprices météorologiques et fasciné par les glaciers, puis se rend à Paris en passant par le Sud de l’Allemagne et la vallée du Rhin, et enfin à Londres. Son récit de voyage, dont certaines pages sont dignes de celles des maîtres du genre, à la plaisante narration vivante et spontanée, voire enjouée, décrit avec concision, sensibilité et esprit, les aventures et événements auxquels il assiste, les impressions ressenties au contact de la nature ainsi que la société dans laquelle il évolue et les personnages desquels il fait connaissance. Le recueil en format poche paru chez Le Passeur reproduit une élégante et parfois imprécise traduction française, réalisée en 1864, d’un choix de 61 lettres sélectionnées et écourtées par le frère du compositeur. En attendant une édition complète et critique, il s’agit surtout ici d’une invitation à de savoureuses promenades en excellente compagnie.

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Glanés au cours des abondantes et diversifiées lectures du musicologue Jean-Noël von der Weid, des anecdotes délicieuses, des réflexions esthétiques ou philosophiques, des morceaux littéraires, volontiers singuliers voire étranges, extraits de romans, de nouvelles, de journaux intimes et d’essais, sans compter quelques poèmes, constituent un improbable dictionnaire. On y trouvera également de beaux hommages de l’auteur, par exemple à Chopin, Feldman, Scelsi ou Stockhausen, ou encore des fragments de correspondance, telle une lettre de Descartes à Mersenne, discourant de physiologie auditive, ou une douloureuse missive de Schubert à Kupelwieser. Outre la musique, les autres arts ou la philosophie y sont aussi révérés. Le Songe de Poliphile y côtoie les Mémoires de Saint-Simon, les épigrammes de Martial le Journal des Goncourt ou L’Homme sans qualités de Musil ; on y rencontre Bergson, Montaigne ou Nietzsche aussi bien que Baudelaire, Dostoïevski, Jarry, Proust ou Thoreau. A parcourir cet ouvrage, on éprouvera la joie simple de la découverte et de la surprise ravie.

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Les Editions Zoé ont beaucoup contribué à faire connaître Robert Walser au public francophone. Dressée par Roman Brotbeck et Reto Sorg, récemment traduite par Marion Graf, une anthologie de soixante textes parmi les quelques 300 que le prolifique écrivain biennois a peu ou prou consacré à la musique propose un large panorama s’échelonnant de 1899 à 1933, donc depuis les premiers poèmes jusqu’à la dernière année productive de l’auteur, avant les plus de deux décennies d’inactivité consécutive à son déplacement vers la clinique psychiatrique d’Herisau. Fervent mélomane, mais peu intéressé par le rituel bourgeois que revêtaient alors les concerts et soirées d’opéra, il était plus sensible aux voix non travaillées et aux accordéonistes, représentants selon lui d’un monde authentique. Rien ne semble plus enchanter Walser, véritable descendant du romantisme, que l’apparition inattendue, presque miraculeuse, de la musique, entendue au hasard d’une promenade – instant de poésie à la fois toute simple et potentiellement sublime. Malgré la musicalité de la prose de Walser (Max Brod disait y percevoir « une musique spontanée » et Hermann Hesse « une élégante musique de chambre »), il n’a pas été en contact avec les compositeurs de son temps et n’a jamais commenté leurs œuvres.

Felix Mendelssohn : J’ai fait en conscience mon métier de voyageur, Lettres européennes (1830–1832), présentées par Nicolas Dufetel, 496 pages, € 8.50, Le Passeur, Paris 2022, ISBN 978-2-36890-886-0

Jean-Noël von der Weid : Scherzos insolites, 344 pages, € 27.00, Editions Aedam Musicae, Château-Gontier 2021, ISBN 978-2-919046-96-6

Robert Walser : Ce que je peux dire de mieux sur la musique, 224 pages, Editions Zoé, Chêne-Bourg 2019, ISBN 978-2-88927-664-6

Image du haut : Wikimedia commons

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