La vie et l’œuvre de Herrmann – Le polymathe Benoît

Présentation de deux compositeurs : Bernard Herrmann, dont les musiques de film ont occulté sa production d’œuvres pour le concert, et Camille Benoît, qui a totalement sombré dans l’oubli.

Répétition pour la pièce radiophonique « La guerre des mondes » en 1938 : Orson Welles, les bras levés, et Bernard Herrmann, dirigeant l’orchestre de CBS Radio. Photo : Acme Telephoto/wikimedia commons

Unanimement reconnu comme un des musiciens les plus exceptionnels à avoir composé pour le cinéma, Bernard Herrmann restait frustré de ne pas être mieux apprécié pour ses œuvres de concerts ou pour son opéra Wuthering Heigths auquel il tenait tant, mais qu’il ne vit jamais monté sur scène de son vivant. Au cours de son enfance difficile durant laquelle il subit violences scolaires et tensions familiales, il se réfugia dans la musique, ainsi que dans la littérature et les ouvrages de Freud, qui lui inspireront sa capacité à caractériser des personnages et à dévoiler par la bande-son leurs secrets et leurs failles. Influencé par les compositeurs français (Debussy, Ravel), anglais (Delius, Elgar, Vaughan Williams) et américains (Copland, Cowell et Ives), il a surtout écrit dans un style postromantique, créant avec efficacité des atmosphères variées et ménageant de subtiles transitions, tout en demeurant ouvert aux innovations musicales pouvant lui servir à dépeindre le fantastique, le macabre ou l’onirique. Son orchestration inventive utilise selon les besoins un effectif réduit (et même uniquement des bruits dans Les Oiseaux) ou au contraire un orchestre pléthorique (comprenant neuf harpes pour Tempête sous la mer), employant aussi bien des instruments anciens tels le serpent ou la viole d’amour que le trautonium ou un synthétiseur Moog. Il débuta à la radio, où il put travailler avec le jeune Orson Welles, qui devint le premier réalisateur avec qui il collabora, pour Citizen Kane. S’il fut ensuite associé à d’autres grands cinéastes, de Dieterle à Scorsese et de Mankiewicz à Truffaut, son caractère irascible et intraitable, son orgueil et sa susceptibilité ne l’aidèrent pas dans sa carrière et furent à l’origine de la rupture avec Hitchcock, grâce auquel il avait pourtant eu l’occasion d’écrire ses meilleures partitions. Dans cette biographie passionnante et agréablement rédigée parue chez Actes Sud, Karol Beffa ne limite pas Herrmann à cette symbiose avec le maître du suspense, mais analyse aussi brièvement la plupart de ses musiques de film et une partie de sa production destinée au concert.

« Autour du piano », Tableau de Henri Fantin-Latour : Emmanuel Chabrier au piano ; Camille Benoît debout à sa gauche, la main à la partition. Musée d’Orsay/wikimedia commons

En dépit de ses innombrables dons, y compris dans le domaine de l’histoire de l’art (il fut nommé conservateur adjoint au département des peintures du musée du Louvre en 1894), le compositeur, musicographe et polymathe Camille Benoît (1851-1923) est quasiment oublié de nos jours. Afin d’honorer sa mémoire à l’occasion du centenaire de son décès, un coffret de trois livres a paru aux éditions La Rumeur libre : Karol Beffa consacre un tome aux commentaires de pièces de ce Roannais dont les œuvres se ressentent de l’influence de son maître Franck, mais aussi de Wagner puis de Fauré, Guillaume Métayer signe le volume biographique, et les deux auteurs se réunissent pour présenter une compilation de différents articles, analyses et critiques de cet auteur au style énergique, qui savait choisir les termes avec précision. Parmi les annexes des deux premiers opuscules, on trouve la reproduction, entre autres, de partitions, de poèmes et d’extraits de sa correspondance. Comment une personnalité ayant excellé dans plusieurs spécialités et contribué activement à la diffusion des idées esthétiques de son temps a-t-elle pu être autant ignorée par la postérité ? La redécouverte de Camille Benoît se double d’une réflexion sur le passage de la notoriété au plus complet silence, un exemple flagrant d’amnésie historique.

Karol Beffa, Guillaume Métayer : Camille Benoît Musicien, 640 p., La rumeur libre, Sainte-Colombe-sur-Gand 2024, ISBN 9782355773246

Karol Beffa : Bernard Herrmann, 176 p., € 20.00, Actes Sud, Arles 2024, ISBN 978-2-330-18557-2

 

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