Jeux de gorge inuit et chants de gorge sibériens

Une approche comparative, historique et sémiologique

L’objectif de cet article est de démontrer comment les jeux et les chants de gorge se ressemblent dans les diverses cultures circumpolaires, tout en étant porteurs de significations différentes chez les Inuit du Canada, chez les Aïnou de l’île de Sakhalin (un ancien territoire du Japon, annexé à l’Union soviétique en 1945), et chez les Tchouktches de la Sibérie russe1. J’ai d’abord étudié les jeux de gorge inuit dans les années 1970, avec mon groupe de recherche de l’Université de Montréal dont faisaient partie Nicole Beaudry, Claude Charron et Denise Harvey. Le groupe était soutenu principalement par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Cette recherche portait principalement sur le katajjaq2 que l’on retrouve surtout présents dans le nord du Québec et le sud de la terre de Baffin. Des conversations avec Monique Desroches, une ancienne étudiante qui est aujourd’hui un de mes collègues ethnomusicologues à l’Université de Montréal, ainsi que des articles sur le katajjait du nord du Québec écrits par des membres de l’équipe anthropologique Inuksiutiit de l’Université Laval (Saladin d’Anglure, 1978; Carmen Montpetit et Céline Veillet, 1977, 1984) m’ont aussi aidé à comprendre la signification religieuse de ces jeux.

Les travaux, publiés ou non, de Beverley Diamond Cavanagh (1976), Denise Harvey et Ramon Pelinski m’ont aidé à comprendre les jeux de gorge pratiqués, sous d’autres noms, dans d’autres régions culturelles inuit: chez les Inuit Netsilik et les Inuit du Caribou. J’ai moi-même visité la région des Inuit Iglulik. Ces groupes sont localisés du côté nord-ouest de la baie d’Hudson et au nord de la terre de Baffin.

En 1978, j’ai eu l’occasion de recueillir chez les Aïnou du Japon du matériel et des informations sur le rekutkar, un genre similaire au katajjaq des Inuit, grâce à une subvention de recherche de l’UNESCO et à l’aide de mon collègue Kazuyuki Tanimoto de l’Université de l’éducation de Hokkaido. Plus récemment, le professeur Tanimoto a organisé deux conférences sur la musique circumpolaire, une première à Sapporo en 1992 – où j’ai eu l’occasion de rencontrer deux spécialistes russes, Maria Zhornitskaïa et Yuri Seikin, qui m’ont fourni des informations importantes –, et une seconde à Magadan (Russie, 1994). Ce dernier voyage m’a permis de recueillir des enregistrements et des informations chez les Tchouktches d’Anadyr.

Je n’aimerais pas que le lecteur pense que les jeux de gorge représentent le principal genre musical de la culture des Inuit. De l’Alaska au Groenland, un genre prédomine: le chant de danse à tambour. Aujourd’hui, une abondante littérature et de nombreux enregistrements nous permettent de savoir ce que sont les danses à tambour et leur musique chez les Inuit3. Ce genre n’est pas celui auquel mon groupe de recherche a consacré le plus d’attention à Montréal. Nous nous sommes concentrés sur les jeux de gorge qui sont, au Canada, culturellement distincts des chants de danse à tambour.

Les jeux de gorge sont exécutés par deux femmes se faisant face. Elles se touchent parfois avec leurs mains ou tiennent les épaules ou les bras de leur partenaire. Plusieurs enregistrements de katajjait4 peuvent permettre aux lecteurs et aux lectrices de prendre connaissance de leur aspect musical. L’exemple 1 présente une transcription de l’un d’eux: le carré désigne le son expiré, le triangle le son inspiré, le blanc symbolise les sons voisés, le noir les sons non-voisés5. Cette transcription démontre immédiatement que, la plupart du temps, la seconde voix répète la première, mais déphasée canoniquement.

Un genre similaire, le rekutkar, se retrouve chez les Aïnou. Il y a deux groupes principaux d’Aïnou: ceux de l’île d’Hokkaido, dans le nord du Japon, et les Aïnou Kraft, qui vivaient à Sakhalin avant d’immigrer à Hokkaido suite à l’annexion de cette région par l’Union soviétique. Pour autant que je sache, le rekutkar n’existe pas du tout chez les Aïnou d’Hokkaido; on le retrouve seulement chez les Aïnou Kraft de Sakhalin. Au cours de mes recherches à Hokkaido, en 1978, j’ai appris que la dernière immigrante de Sakhalin à y avoir pratiqué le rekutkar était décédée en 1973. Cependant, j’ai pu trouver dans des archives des enregistrements de ce genre parus en 1947 sur des disques 78 tours6. L’exemple 2 fournit une transcription de l’un d’eux.

Kazuyuki Tanimoto a publié des pièces qui utilisent la même technique de gorge: le pic eynen des Tchouktches de Sibérie (1992, pièces 9 et 13-24). Des productions vocales similaires peuvent être trouvées dans d’autres parties de la Sibérie, chez les Koriak, les Even, les Evenk et les groupes Tungus. Évidemment, les trois genres, le katajjaq, le rekutkar et le pic eynen, utilisent grosso modo la même technique vocale que je vais décrire en utilisant l’exemple du katajjaq. Mon but principal, ici, sera toutefois de mettre l’accent sur les fonctions et les significations variées de ces productions vocales dans les trois cultures où on les rencontre. Cela me conduira ensuite à faire appel à des méthodes phylogénétiques et à des concepts sémiologiques pour expliquer les similitudes et les différences entre ces genres.

 

Le katajjaq des Inuit

 

Commençons avec les katajjait des Inuit. Qu’entendons-nous lorsque nous écoutons une exécution de ce genre? Principalement, deux chaînes de sons homogènes: une chaîne de sons graves (généralement qualifiés de sons de gorge) et une chaîne de sons plus aigus. Nous entendons aussi l’emploi constant de sons inspirés et expirés qui créent ce que nous appelons un «style haleté». Le son de gorge de la chaîne la plus grave n’apparaît pas toujours comme tel dans les jeux exécutés du côté ouest de la baie d’Hudson (cf. Nattiez et al., 1989). Dans une perspective circumpolaire, la principale caractéristique commune aux trois cultures étudiées est fondamentalement le style haleté, mais le son de gorge demeure néanmoins d’une importance prépondérante.

Après avoir analysé soigneusement les katajjait, nous pouvons établir que le motif est l’unité de construction de base d’un katajjaq. Il est fait d’un morphème, d’un rythme particulier, d’un contour mélodique, d’un pattern de sons voisés et non-voisés, d’un pattern de sons inspirés et expirés. C’est cette dernière caractéristique qui nous permet de parler d’un «style haleté» (pour une description plus détaillée, voir Nattiez, 1983a). Chacun des sons graves et chacun des sons aigus sont émis alternativement par chaque femme. La plupart du temps, le motif de la seconde voix est identique au motif de la première voix, mais, occasionnellement, il est complètement différent.

Dans la situation fréquente où la seconde voix imite la première, l’effet global résulte de la superposition des deux voix qui sont canoniquement déphasées. Ainsi, au moment même où une femme produit un son grave, l’autre femme produit un son aigu, d’où la sensation d’entendre deux chaînes de sons homogènes, l’une grave et l’autre aigüe7. Le motif des jeux vocaux est répété un certain nombre de fois, et l’enchaînement de ces motifs crée une sorte de phrase. Mais un second motif apparaît qui, par la répétition, crée une seconde phrase, etc. Très souvent, à la fin de ces productions, nous entendons les exécutantes rire. Pourquoi?

Jusqu’à présent, j’ai soigneusement évité de parler de chants: culturellement, ce genre est principalement un jeu. Beverley Cavanagh (1976), qui a étudié des productions similaires chez les Inuit Netsilik, fut probablement la première, parmi le «cercle arctique» de la Society for Ethnomusicology, à insister sur cet aspect. Chez les Netsilik, ces productions appartiennent à la famille plus importante des ulapqusiit (jeux traditionnels), identifiés plus précisément comme des nipaquhiit («jeux de sons et de bruits»). Comme l’a souligné Nicole Beaudry (1978b), ceci est également vrai pour les jeux de gorge du nord du Québec et du sud de l’île de Baffin. Pour les Inuit de Cape Dorset, le katajjaq est un pileojartuq (un jeu exécuté par deux personnes).

À tout moment, l’une des deux femmes peut décider de changer de motif; la seconde femme doit suivre malgré le changement, et le nouveau motif est répété jusqu’à ce que nous entendions une nouvelle altération. Elles doivent continuer aussi longtemps que possible, ce qui demande une endurance certaine. Il est assez difficile d’exécuter ce genre, et si l’une des deux femmes est à bout de souffle ou est déphasée par rapport à sa partenaire, la performance s’arrête et elle perd la partie. Dans certaines régions particulières de l’aire inuit (à Cape Dorset, précisément) où les katajjait sont pratiqués, on nous a dit que cette compétition peut se produire entre deux équipes. Une femme de l’équipe A exécute ce jeu avec une femme de l’équipe B, et l’équipe gagnante est celle qui a éliminé toutes les femmes de l’autre équipe.

Une des deux équipes doit gagner, mais avec du mérite: il y a une gradation dans les difficultés de la production sonore. Elle doit aussi gagner avec des beaux sons de qualité, expérimentés dans les séances d’apprentissage8. Ainsi, la virtuosité et l’esthétique ne sont pas étrangères aux jeux de gorge inuit. De plus, les deux femmes doivent donner le sentiment d’une cohésion parfaite: les personnes présentes dans le public ne devraient pas être capables de découvrir qui fait quoi, et c’est probablement pour cette raison que cela a pris beaucoup de temps aux membres de mon équipe de recherche pour comprendre comment ces productions sonores étaient exécutées.

Le katajjaq est principalement un jeu de femmes. Les hommes ne le pratiquent pas aujourd’hui. Ils l’apprennent quand ils sont de jeunes enfants, mais dès qu’ils commencent à chasser avec leur père, ils cessent de le pratiquer.

Ainsi, puisque le katajjaq est un jeu, il semble que sa fonction soit de divertir les partenaires et le public. En fait, c’est un peu plus compliqué: je définis le jeu de gorge comme une structure d’accueil multifonctionnelle (cf. Nattiez, 1983a: 460).

Premièrement, une structure. Ces jeux, sans tenir compte des circonstances dans lesquelles ils sont exécutés, présentent un certain nombre de traits formels que j’ai mentionnés précédemment: patterns rythmiques et de morphèmes, contours mélodiques, patterns sonores voisés/non-voisés et inspirés/expirés. Malgré la variété étonnante des combinaisons possibles des éléments constitutifs, les jeux de gorge présentent un style homogène.

Le katajjaq est une structure d’accueil parce que sa structure de base rythmique et respiratoire incorpore des sources sonores d’origines variées: syllabes dépourvues de sens, mots archaïques, noms d’ancêtres ou de personnes d’antan, noms d’animaux, toponymes. Les femmes peuvent aussi décider d’exécuter un katajjaq en nommant un objet qui est près d’elles au moment de la performance du jeu. Elles peuvent y introduire des mélodies d’origine occidentale, des hymnes religieux ou des chants de danse à tambour. Si nous mettons ensemble les informations rassemblées par les chercheurs de l’Université de Montréal et de l’Université Laval, et les données fournies par un enregistrement réalisé à Povungnituk9, la liste des animaux imités est assez longue, incluant les oies, les mouettes, les phoques, les eiders, les lagopèdes, les morses, les chiens et les moustiques. Les exécutantes imitent aussi des sons naturels: le vent, l’eau, les vagues, les sons que l’on entend sur une plage, le craquement des aurores boréales. Bien que les femmes inuit du nord du Québec et du sud de la terre de Baffin n’imitent pas seulement les cris des oies, Montpetit et Veillet (1984) ont suggéré que, dans toutes les performances de katajjait, la position du corps des deux partenaires imite la compétition des oies durant la saison des amours. Du côté ouest de la baie d’Hudson, chez les Inuit du Caribou et les Inuit Netsilik, de longues phrases verbales sont aussi intégrées dans les jeux de gorge. Dans le disque consacré aux jeux vocaux des Inuit du Caribou, des Inuit Netsilik et des Inuit Iglulik, on peut entendre, par exemple, une phrase originale, en inuktitut, sur le mâchonnement du péritoine de phoque, et la manière dont cette même phrase est exécutée dans le style haleté (Nattiez et al., 1989, pièces 1 et 2).

Cette structure d’accueil est dite multifonctionnelle parce que le jeu peut être exécuté à n’importe quel moment, comme un moyen de divertissement personnel ou collectif (le jeu d’équipe que j’ai déjà mentionné), comme une façon de tenir les bébés tranquilles, comme un exercice de respiration en prévision du mauvais temps et comme une manière, pour les femmes, de s’amuser et de jouer entre elles.

Quand un texte est utilisé, l’original est difficile à reconnaître parce que le «style haleté» le modifie. De plus, les participantes ne prononcent pas les mots en même temps en raison du déphasage canonique et, parfois, les deux femmes mettent leur tête côte à côte dans une bassine de cuisine, ce qui modifie la sonorité des mots. Comme le fait remarquer Beverley Cavanagh, les transformations du texte changent les jeux en devinettes énigmatiques que les auditeurs doivent déchiffrer. Elles sont utilisées «pour développer les pouvoirs d’imagination et de raisonnement d’un enfant (ou d’un adulte)… Il n’y a pas seulement des ambiguïtés qui subsistent dans le texte, même une fois qu’il est compris. C’est fondamentalement un défi pour l’oreille et pour l’intelligence que de donner un sens aux sons.» (Cavanagh 1976: 46-47)

Dans un article convaincant, l’anthropologiste Bernard Saladin d’Anglure a proposé l’idée que les jeux du katajjaq étaient exécutés durant la période chamanique, c’est-à-dire avant l’arrivée des missionnaires, à l’occasion de trois fêtes collectives saisonnières: celles de l’équinoxe du printemps, du solstice d’été et du solstice d’hiver. En hiver, «ces fêtes seraient une sorte de célébration de la reproduction de la vie, afin de hâter le retour du soleil, la reproduction du jeu et la fête des chasseurs célébrant les liens qui les unissent». Au commencement du printemps, «les jeux de gorge pourraient avoir eu comme fonction de hâter le retour des gros oiseaux migrateurs: les oies. À la fin du printemps, cela pourrait coïncider avec la période de couvaison, un autre moment important de la reproduction qu’ils encourageaient» (Saladin d’Anglure, 1978: 90). Le rapport entre les katajjait et les rites de fertilité a été reconnu plus récemment par un Inuk d’Iqaluit10.

En septembre 1979, j’ai eu l’occasion d’interviewer une femme de Piuvignituk, Alassie Alasuak. Selon elle, les katajjait étaient exécutés durant l’absence des maris, partis à la chasse, un fait que Montpetit et Veillet, deux étudiants de l’Université Laval du Québec, avaient déjà établi (1977). Nous trouvons une remarque similaire chez l’explorateur William Edward Parry, quand il décrit, probablement pour la première fois de l’histoire, une exécution de jeux de gorge. Il commence ainsi sa narration: «À l’occasion, quand la plupart des hommes sont absents des huttes pour une excursion de chasse au phoque…» (1824: 538). Alassie a été la seule femme Inuk, dans le nord du Québec, à me dire que le katajjaq est utilisé afin de hâter leur retour, d’attirer les animaux qui seront chassés, ou d’influencer favorablement pour les chasseurs les éléments naturels, comme l’air, le vent ou les vagues.

Ces fragments d’information particuliers m’ont conduit à formuler une hypothèse (Nattiez, 1992: 633) au sujet de la fonction que ces jeux auraient pu avoir dans le passé, avant que les missionnaires n’exercent leur influence11. À mon point de vue, ils auraient été liés au chamanisme, non seulement dans les cérémonies disparues, mais dans les exécutions domestiques. Je n’utilise pas le mot «chamanisme» pour seulement désigner ce que fait le chamane dans une communauté donnée. Par chamanisme, j’entends l’ensemble des pratiques et des rites faits par tous les membres d’une société animiste. L’hypothèse pourrait être formulée de la façon suivante: pendant que les hommes sont partis chasser, les femmes exécutent ces jeux non seulement pour s’amuser et se divertir entre elles, mais aussi afin d’exercer une certaine influence sur les esprits des oiseaux, des mammifères marins, du vent, de l’eau, des ancêtres, etc., dans le but de créer les conditions les plus favorables possibles pour la chasse et la pêche. Comme pour les fêtes mentionnées par Saladin d’Anglure à propos des jeux de gorge, les performances domestiques seraient adressées aux esprits de la nature et des animaux. Le fait que ces pratiques soient des jeux n’est pas un problème dans le contexte religieux d’une société traditionnelle où notre opposition moderne entre les dimensions séculière et profane n’existe pas.

La chasse était d’une importance primordiale dans la société traditionnelle inuit. Si mon hypothèse est exacte, alors nous ferions face à une division du travail à la fois symbolique et sexuelle. En utilisant les jeux de gorge comme un moyen pour influencer les animaux et les éléments de la nature, les femmes participeraient ainsi, sur un pied d’égalité avec les hommes, à la survie de la communauté. Les hommes tuent le gibier, les femmes exécutent les jeux afin d’influencer les esprits. Les jeux de gorge des femmes inuit seraient une sorte de musique de la survie.

 

Le rekutkar des Aïnou

 

J’ai parlé délibérément et prudemment d’une hypothèse parce que personne, sur le terrain, ne nous a parlé de cette dimension religieuse. Seule Alassie Alasuak y faisait allusion avec précaution, insistant sur le fait qu’elle était née après la période chamanique. Ce silence au sujet du chamanisme peut facilement se comprendre. Les missionnaires se sont montrées efficaces entre les années 1920 et les années 1950: les Inuit ne parlent pas des connotations chamanistiques du jeu de gorge, soit parce qu’ils ont peur de les évoquer, soit parce qu’ils ne sont plus conscients des connotations religieuses associées avec cette pratique, ce qui est sans doute particulièrement vrai des Inuit de la jeune génération. Mes recherches chez les Aïnou du Japon et les Tchouktches de Sibérie renforcent cette hypothèse.

Qu’est-ce, en effet, que le rekutkar chez les Aïnou? Ce mot peut être analysé en examinant ses composantes: rekut veut dire «gorge» et kar signifie «faire»12. Comme on peut le voir sur une photographie d’une performance d’un rekutkar, publiée par William Malm dans son livre sur la musique japonaise (1963: 242), les interprètes sont assises l’une en face de l’autre.

Il est fort probable que la manière dont ils utilisent leurs mains ait une fonction acoustique: fondre les sons des deux partenaires en un seul. Les femmes inuit de la région des Caribou utilisent également une bassine de cuisine pour obtenir un effet similaire de fusion et de résonance. Je ne peux pas dire si le rekutkar, tel qu’il est pratiqué dans une position assise, était perçu, dans la culture des Kraft Aïnou, comme un jeu, un chant ou les deux. À ma connaissance, la position assise n’est pas utilisée par les Inuit du nord du Québec lorsqu’ils performent le katajjaq, mais, par contre, elle l’est par les Inuit Iglulik et les Inuit Netsilik.

Dans une performance de rekutkar, il peut y avoir plus de deux couples et jusqu’à dix personnes. Comme le démontre une vidéo non publiée de Ramon Pelinski, cela se produit aussi parfois chez les Inuit du Caribou. Selon Fussa Kanaya (la fille de la dernière chanteuse de rekutkar à Hokkaido décédée en 1973) que j’ai interviewée en 1978 avec l’aide du professeur Tanimoto, le rekutkar était pratiqué pendant le rituel principal de chasse des Kraft Aïnou à Sakhalin, soit le Festival de l’Ours. Plus précisément, il était exécuté durant la partie de «réjouissance» du Festival précédant le meurtre rituel de l’ours (c’est-à-dire avant que l’ours soit sorti de sa cage pour être tué). Au cours de ce rituel, les femmes, se penchant en avant, formaient un cercle faisant face au centre, leurs deux mains utilisées comme un porte-voix.

Que signifie le rekutkar dans le contexte du rituel de l’Ours? Pour l’Aïnou animiste, l’ours est le plus important animal sacré, contribuant à la force et à la vitalité des êtres humains. Pour pratiquer le rituel, les gens nourrissent et élèvent un bébé ours dans une cage jusqu’à ce qu’il atteigne un an. Ils organisent ensuite la mise à mort rituelle de cet ours, pour que son esprit puisse retourner au paradis et raconter aux ours-dieux combien il a été bien traité par les êtres humains.

Dans une chant, un rimse (Tanimoto et Nattiez, 1993, pièce 4), le texte dit: «hau o peurep rekau», ce qui signifie: «s’il te plaît, toi l’ours, fais ton son de gorge». Si l’on se réfère à cet enregistrement, on l’entend distinctement à l’arrière-plan de ce chant. Celui-ci a été exécuté pendant le festival, au moment où une corde est passée autour du cou de l’ours, juste avant son exécution. Cela semble établir avec certitude que le cri de l’ours est associé, dans la culture des Aïnou, avec le son de gorge.

Enfin, signalons qu’une chanson de Sakhalin, publiée par le NHK en 196513, contient des sons très similaires à ceux du rekutkar. Le commentaire qui accompagne cet enregistrement indique précisément que ces sons correspondent à celui émis par l’ours lors de son arrivée au paradis (Sarashina, Tanimoto, Masuda, 1965: 495).

 

Le pic eynen des Tchouktches

 

Tournons-nous maintenant vers quelques exemples d’utilisation de cette technique dite de gorge en Sibérie. Comme je l’ai mentionné au début, cette technique peut se retrouver chez plusieurs groupes sibériens (Tchouktches, Even, Evenk, Koriak). Cependant, elle ne doit pas être confondue avec la production d’harmoniques dans les chansons des Tuvas, par exemple, qui les appellent aussi «chant de gorge» et qui prétendent, bien sûr, «qu’il s’agit des seuls vrais chants de gorge». Je me concentrerai sur quelques exemples chez les Tchouktches, parce que je les ai étudiés grâce à des entretiens avec des Tchouktches d’Anadyr.

Le contexte rituel de ces chansons est très vivant en Sibérie. Le communisme n’a pas détruit les religions aborigènes, il les a gelées. Aujourd’hui, le peuple tchouktche pratique beaucoup de rites saisonniers: pour le saumon, pour la première naissance d’un renne, pour le premier renne tué, etc. Cette technique de chant de gorge n’est pas utilisée dans le contexte des jeux, comme ches les Inuit canadiens, mais dans celui de danses rituelles. Chaque danse, avec la production vocale qui lui est reliée, décrit – avec des gestes figurant le comportement des animaux et l’imitation vocale de leurs cris – une variété de bêtes: rennes, phoques, perdrix, grues. Il est nécessaire de plaire à leur esprit afin d’avoir, avec un peu de chance, une bonne chasse ou une bonne pêche. Encore une fois, ces pratiques sont liées à la quête de la survie.

D’un point de vue musical, le pic eynen, (c’est-à-dire le chant de gorge des Tchouktches) diffère un peu du katajjaq inuit: tandis qu’un katajjaq est exécuté par deux femmes (ou, plus rarement, un multiple de deux), un grand nombre de femmes tchouktches peuvent exécuter le pic eynen: l’une interprète la voix principale, pendant que chacune des autres femmes improvise d’après cette voix14.

J’ai mentionné précédemment mes hésitations concernant le rekutkar des Aïnou: est-ce un jeu ou un chant? En ce qui concerne les Tchouktches, je suis sûr que les pic eynen ne sont pas conçus comme des jeux, mais bien comme des chants. L’expression tchouktche pic eynen signifie «chanter avec la gorge». Lorsque je leur ai demandé directement s’il s’agissait de jeux, ils m’ont répondu que les chants exécutés pour le plaisir sont ceux où quelqu’un fait des grimaces afin de faire rire le public. Il n’y a là aucune idée de compétition.

Mais la comparaison entre le katajjaq des Inuit et le pic eynen des Tchouktches nous apporte deux surprises. Lors des exécutions de katajjaq, les interprètes ont seulement une posture: elles restent debout l’une devant l’autre, avec leur bouche aussi proche que possible l’une de l’autre. Leur corps suit le rythme de l’exécution, mais les femmes demeurent à la même place. Chez les Tchouktches, comme on peut le voir dans une vidéo de la choréologue moscovite Maria Zhornitskaïa, il y a de nombreuses figures chorégraphiques: une danseuse seule; un groupe de femmes en cercle dansant et tournant en rond dans le sens des aiguilles d’une montre; une ligne de danseuses l’une à côté de l’autre faisant face à une autre ligne de danseuses; un couple de danseuses sautillant; une femme tirant alternativement chaque bras de l’autre femme lui faisant face. Mais une figure particulière est frappante: dans une danse imitant les perdrix, et dans celle-là seulement, les mouvements du corps et les productions sonores sont similaires à ceux du katajjaq inuit.

La seconde surprise survient quand on regarde, dans la même vidéo, la danse du corbeau des Tchouktches: une séquence de sons utilisant la technique de gorge apparaît avant ou après des séquences de chants de danse du tambour dont les hauteurs sont analogues à ce que nous connaissons dans la musique occidentale, et suite à l’imitation des animaux. Ce n’est pas la seule exécution de ce type: la même succession de sons de gorge, de hauteurs chantées et d’imitations d’animaux se produit dans une pièce enregistrée par Henry Lecomte chez les Tchouktches (s.d., pièce 11).

Au tout début de cet article, j’ai souligné le fait que, dans la culture inuit, les chants de danse à tambour et les jeux de gorge sont deux genres différents qui ne sont jamais exécutés «collés» l’un à la suite de l’autre. Ils peuvent cependant l’être au cours du même événement festif. En fait, ils ont quelque chose en commun: ils font tous deux appel à l’endurance. Un bon danseur à tambour est celui qui peut se mouvoir en faisant pivoter, par un mouvement du poignet, le lourd tambour aussi longtemps que possible: les bonnes interprètes du jeu de gorge sont celles qui font durer le katajjaq aussi longtemps que possible sans échec.

Mais, d’un autre côté, ces deux genres sont complètement différents: les chants de danse à tambour des Inuit racontent des histoires liées à la vie du chasseur qui est, le plus souvent, un compositeur-poète. Chez les Inuit Iglulik, le chant qu’il compose est transmis à sa femme qui, à son tour, l’enseigne aux autres femmes de la communauté. Quand les gens se réunissent pour des occasions festives, la danse est exécutée par le compositeur-poète-danseur, et le chant est assumé par un chœur de femmes rassemblées dans l’igloo. Chez les Inuit de l’est du Canada, les femmes sont la mémoire poétique de la communauté. Ces chants ont des auteurs bien identifiés, et même chez les Inuit du Caribou, ils sont considérés comme des «chants personnels» (cf. Nattiez, dans Nattiez-Conlon, 1993). Par contre, il n’y a pas de compositeurs de jeux de gorge inuit identifiés. Aujourd’hui, on parle à leurs sujets de jeux, et non de chants, et ils sont exécutés par des femmes. Parmi les formes symboliques des Inuit, les danses des hommes et les jeux des femmes sont deux domaines séparés.

Chez les Tchouktches, la situation est complètement différente. Comme je l’ai mentionné, les pic eynen peuvent être exécutés de façon autonome, mais ils peuvent aussi être intégrés dans une séquence de danses. Les Tchouktches ne séparent pas, cognitivement, les sons de gorge des sons des chants de danse du tambour exécutés pendant les danses. Les chants sont pratiqués dans le contexte des danses rituelles dont les sons peuvent être des hauteurs (au sens de la musique occidentale), des imitations d’animaux et des sons de gorge. Ceci correspond au fait, reconnu par le professeur Tanimoto dans une communication restée inédite15, que l’imitation des animaux dans les chansons aïnou (comme le upopo, le rimse ou le kamuyyukar) a une signification religieuse dans un contexte animiste. Selon moi, la même observation vaut pour les sons de gorge du katajjaq inuit à l’époque chamanique. Mais il y a une différence entre les chants des Tchouktches et les jeux des Inuit: chez les Tchouktches, deux groupes de systèmes symboliques – les mouvements de danse et la technique vocale de gorge combinée au style haleté – sont réunis dans une seule forme symbolique, la danse rituelle. Chez les Inuit, ces deux formes sont séparées et autonomes.

Comment pouvons-nous expliquer cette situation?

 

Phylogenèse des formes symboliques circumpolaires

 

La présence de cette technique de gorge et ses relations aux mouvements spécifiques du corps et aux significations différentes autour du pôle renforcent la proposition de William P. Malm qui, en 1967, encourageait les ethnomusicologues à étudier ce qu’il appelait la musique circumboréale (1977: 209). Il va sans dire qu’une vision plus complète de cette culture circumpolaire aurait inclus tous les autres genres de musique, et surtout, les différents types de danses à tambour qui varient de la Sibérie au Groenland. Comparant les chants de gorge sibériens et les jeux de gorge inuit, je suggère que les similitudes et les différences entre eux pourraient être élucidées à partir de deux questionnements d’ordre sémiologique: premièrement, pour expliquer les similitudes entre les signifiants par la phylogenèse des formes symboliques; deuxièmement, pour expliquer la diversité des significations culturelles par une théorie générale de la relation entre signifiant et signifié.

Lorsqu’on découvre un trait culturel ou un artefact similaire dans deux régions géographiques distinctes, trois types d’explications sont possibles: une explication universaliste, une explication diffusionniste ou une explication phylogénétique.

Par exemple, la technique de gorge combinée avec l’alternance de sons inspirés et expirés se retrouve dans le chant ihamma des Tuaregs Kel Ansar du Mali16. Cette zone est si éloignée de la région circumpolaire qu’il est impossible d’imaginer une explication de l’analogie qui serait basée sur la diffusion ou le contact. De plus, l’analogie de la respiration est insérée dans un contexte sonore complètement différent. Dans le cas du katajjaq, du rekutkar et du pic eynen, la technique de gorge est liée à des caractéristiques semblables, comme il a été démontré précédemment. Ici, l’universalité de l’appareil vocal peut expliquer pourquoi deux cultures totalement séparées produisent des événements sonores similaires.

Une explication diffusionniste des similitudes entre les jeux de gorge est parfois possible. J’ai pu établir que les jeux de gorge des Inuit Netsilik ont été introduits chez les Inuit Iglulik dans le nord de la terre de Baffin par Rose Iqalliuq, une femme qui les a appris de sa mère Netsilik, mais qui s’est installée dans la région des Inuit Iglulik (Nattiez, 1982: 137).

Pouvons-nous expliquer de la même façon les similitudes vocales et chorégraphiques entre les jeux de gorge inuit et les chants de gorge sibériens? Je crois qu’ils sont situés trop loin l’un de l’autre17 pour résulter d’emprunts qui se seraient produits lors de contacts particuliers entre des groupes aussi distants de l’Arctique.

Je privilégierai donc une explication phylogénétique.

Aujourd’hui, il est connu que les Inuit ont émigré de l’Asie vers le continent américain lors de la dernière de trois migrations, par ce qu’on appelle de nos jours le détroit de Béring. Chez les Inuit et les peuples de l’Asie, des analogies de distribution entre des caractéristiques linguistiques (Greenberg-Ruhlen, 1992), des artefacts archéologiques (Leroi-Gourhan, 1946) et des données génétiques (Cavalli-Sforza, Menozzi et Piazza, 1994) ont été établies. Ceci suggère fortement que ces connections sont le résultat d’une migration qui s’est produite il y a quatre à cinq mille ans (Greenberg-Ruhlen, 1992: 97). La même chose est probablement vraie pour le katajjaq des Inuit, le rekutkar des Aïnou et le pic eynen des Tchouktches, puisque la distribution de ces trois genres considérés comme un tout coïncide avec des distributions non musicales reconnues par les linguistes, les archéologues et les généticiens (cf. Nattiez, 1983b, pour une analogie de la distribution de la technique de gorge et des artefacts archéologiques).

Quand les danses à tambour et les jeux de gorge inuit sont-ils devenus, à partir d’un substratum commun, des genres séparés et autonomes? Nous ne le savons pas, mais nous pouvons tenter d’expliquer deux choses: pourquoi, dans tous ces genres, nous trouvons des caractéristiques similaires importantes, comme des contours mélodiques, des sons inspirés et expirés, des sons voisés et non-voisés, la technique de gorge, l’imitation des animaux par la voix et les mouvements du corps; et pourquoi, bien que similaires dans leurs formes, ces caractéristiques sont liées, dans différentes cultures, à des genres distincts comme les chants, les danses et les jeux.

Selon les récentes recherches linguistiques comparatives et historiques (Greenberg, Turner, Zaguara, 1986; Greenberg, 1987; Ruhlen, 1987, 1994), les langues que nous connaissons aujourd’hui appartiennent à de grandes familles et se sont développées à partir d’origines communes. Depuis le XIXe siècle, les linguistes ont reconnu l’existence de l’indo-européen, duquel dérivent le français, l’anglais, l’italien, le roumain, mais aussi le sanskrit, l’avestique, le grec ancien, l’irlandais gothique et l’irlandais ancien. Le statut de la famille des langues eskimos-aléoutes (à laquelle l’inuktitut appartient) et de la famille des langues tchouktches-kamtchadales (à laquelle le tchouktche appartient) est bien établi (Ruhlen, 1987: 127-36). Mais Ruhlen suggère que «les liens externes les plus prometteurs pour la famille des langues tchouktches-kamtchadales semblent la rattacher à la famille des langues eskimos-aléoutes et à l’isolat giliark» (ibid.: 126). L’appartenance de l’aïnou à la famille altaïque est toujours débattue aujourd’hui (ibid..: 258-59). Ruhlen est tenté de le rattacher au groupe des langues Japonais-Ryukiyvan (ibid.: 329). Peut-être est-il possible que l’aïnou ait un statut analogue à celui du giliark? Serait-il possible pour l’ethnomusicologue de suggérer que la présence de la technique dite de gorge chez les Inuit de la division eskimo-aléoute, chez les Tchouktches et les Koriaks de la division tchouktche-kamtchadale, chez les Even et les Evenk de la division altaïque, et chez les Aïnou puisse renforcer l’hypothèse d’un lien entre ces trois familles? Des connexions entre les caractéristiques linguistiques, génétiques et culturelles ont été proposées récemment. Il est fascinant de découvrir que ces trois divisions linguistiques correspondent à trois divisions génétiques des peuples qui parlent ces langues, comme l’a démontré encore plus récemment Luca Cavalli-Sforza (1996: 225). Pour ce généticien, ceci est également vrai des artefacts culturels (1996: chapitre 4; voir aussi Cavalli-Sforza et al., 1988; Cavalli-Sforza, Menozzi et Piazza, 1994: chapitre 6).

À cause de la force persuasive de la démonstration de Cavalli-Sforza au sujet des conclusions de Greenberg et de son école, je crois que des protoformes de danses à tambour, de chants de danse à tambour, de jeux et de chants de gorge des Inuit, des Aïnou et de différents peuples sibériens, se sont dispersées dans la partie nord des deux continents au moment de la troisième migration, il y a quatre ou cinq mille ans, et ont donné naissance aux différents genres que nous pouvons aujourd’hui distinguer, observer et comparer.

Si les danses, les chants et les jeux des peuples du nord ont évolué à partir de protoformes communes, comme c’est le cas pour les gènes et les langues, pourquoi rencontrons-nous aujourd’hui, d’une part, des chants – incluant des sons de gorge – liés à des danses, et, d’autre part, des sons de gorge liés à des jeux? Parce que, historiquement, ces formes symboliques particulières (chants, danses, jeux) ont été dérivées d’un ensemble de composantes de base qui ne sont pas spécifiques aux chants, aux danses ou aux jeux.

À ce pont de l’examen, j’aimerais suivre le chemin ouvert par Jean Molino au sujet du fonctionnement sémiologique des formes symboliques. Quelles sont, selon lui, les principales caractéristiques anthropologiques de l’art? Les formes et les qualités, les rythmes et les valeurs, les affects, l’activité pratique, la symbolisation, la dimension pragmatique (1991: 75-76; pour une formulation plus récente de sa théorie, cf. Molino, 2009: chap. 17). De la même manière, si nous regardons les caractéristiques identiques situées «derrière» les formes symboliques ici étudiées, que trouvons-nous? Le rythme n’est pas seulement une caractéristique de la musique, mais aussi de la danse, de l’architecture et du corps (par exemple les battements du cœur et la respiration). Les relations entre les hauteurs n’existent pas seulement en musique, mais aussi dans les langues à tons. Les glissandi d’intonation sont typiques, dans les langues, du contour mélodique de la question et de la réponse, mais peuvent se retrouver dans certaines manières de chanter. Le timbre est à la fois une qualité du langage et de la musique. Les gestes sont liés à l’expression linguistique, à certains aspects stéréotypés des jeux, et sont présents dans les danses, la pantomime et les imitations. En d’autres mots, ce que chaque culture a produit comme des familles de formes symboliques particulières – les chants, les danses ou les jeux – est en fait le résultat d’une combinaison de proto-composantes qui, en tant que tel, ne sont pas spécifiques aux chants, aux danses ou aux jeux, mais qui constituent les paramètres de base avec lesquels les différentes formes symboliques ont été historiquement et culturellement construites. Ceci explique pourquoi les gestes et l’appariement des femmes que nous avons décrits plus haut se retrouvent dans une danse particulière des Tchouktches et comme position corporelle à la base du katajjaq du nord du Québec. Ceci explique également pourquoi la position assise est présente dans la pratique domestique du rekutkar, tout comme aussi chez les Inuit Netsilik et les Inuit du Caribou, et pourquoi l’utilisation de la technique de gorge peut apparaître aussi bien dans les danses de rites de chasse et de pêche sibériens que dans les jeux domestiques des femmes inuit d’aujourd’hui.

Bien sûr, toutes ces formes symboliques ont – ou plus précisément avaient – quelque chose en commun. L’imitation gestuelle et sonore des éléments de la nature, incluant les animaux, a (avait) une fonction religieuse: plaire aux divinités afin d’avoir une bonne prise. En ce sens, je suis pleinement d’accord avec Roberte Hamayon, une spécialiste française du chamanisme sibérien, qui considère les jeux, les danses et les luttes des peuples sibériens (et selon moi, ceci est également vrai pour les Inuit) comme des rituels exécutés pour les dieux (1995).

 

Autonomie sémiologique des signifiants et des signifiés dans les formes symboliques

 

Si tout ceci est vrai, il est nécessaire d’expliquer pourquoi ces formes symboliques ne sont plus porteuses aujourd’hui de ces connotations religieuses, tout particulièrement chez les Inuit du Canada. La distinction sémiologique entre le signifiant et le signifié, dans une perspective historique, nous aidera à comprendre comment une forme (un signifiant) similaire reçoit un sens nouveau (un nouveau signifié) dans une culture différente.

Comme nous l’avons vu, nous trouvons autour du Pôle Nord un signifiant sonore stable, caractérisé par le «style haleté» – inspiration/expiration – avec l’utilisation fréquente des sons dits de gorge. Quand l’environnement culturel change, les significations associées avec ces techniques et ces gestes changent aussi. Chez les Inuit, cette technique vocale est aujourd’hui utilisée dans le contexte de jeux sans, apparemment, aucune connotation religieuse. Chez les Tchouktches, elle est intégrée dans le contexte des chants de danses rituelles. Quand des connotations religieuses sont associées à l’utilisation de cette technique vocale, le signifié auquel renvoient la chorégraphie et les sons vocaux, varie selon le contexte religieux et culturel: l’oie, les phoques et les éléments naturels chez les Inuit; l’ours chez les Aïnou; un large éventail d’animaux chez les Tchouktches.

De cette situation, nous pouvons tirer des conclusions d’intérêt plus larges pour la musicologie générale et la sémiologie. Dans les formes symboliques sonores, la forme (le signifiant) résiste mieux à travers le temps aux transformations. Cependant, le signifié – la signification religieuse des imitations de l’animal et de la nature associée à ces formes – est évanescent.

Pour démontrer la généralité de cette observation, j’aimerais raconter une petite histoire liée à ma première visite au Japon, en 1978. Lorsque j’ai visité Kyoto grâce à la gentillesse du professeur Yamaguti, j’ai été très attiré par les jardins et leur symbolisme. Il me fournit un excellent guide qui me donna des explications fort intéressantes:
«Pourquoi avons-nous ici une petite montagne?» lui demandais-je.
«C’est celle où Buddha avait l’habitude de prier.»
«Dans les jardins de pierres zen», nous étions dans le Ryoanji Sekitei de Kyoto, «pourquoi avons-nous ce canal avec des galets qui sépare le sable et les pierres du reste du temple?»
«C’est la limite entre le monde sacré et le monde profane (higan/shigan),» me répondit-il.
«Pourquoi avons-nous dans le lac,» demandais-je ailleurs, «deux pierres parallèles, et ici une pierre oblique?»
«Pour nous rappeler que le monde est imparfait.»
«Pourquoi avons-nous des poissons et des tortues dans l’eau du jardin?»
«Parce que l’empereur qui a créé ce type de jardin aimait les poissons et les tortues.»

Cette dernière réponse me déconcerta. Au moment où l’informateur n’était plus conscient de la fonction symbolique de certains aspects des jardins, ou était incapable de leur en associer une, le signifié ancien était remplacé par une déclaration esthétique impliquant le plaisir de l’empereur. En fait, la signification symbolique liée aux poissons et aux tortues avait été oubliée par mon guide. Quand je revins du Japon, je passai le long vol Tokyo-Montréal à lire un livre qu’on trouvait dans tous les hôtels du Japon (aux côtés de la Bible): L’enseignement de Bouddha. Dans ce livre, je lus: «Une rivière est perturbée par les mouvements des poissons et des tortues, mais la rivière s’écoule, pure et ne se laissant pas perturber par de tels détails. Bouddha est comme la grande rivière. Les poissons et les tortues des autres doctrines nagent dans ses profondeurs et se pressent contre son courant, mais en vain: les flots du Dharma de Bouddha continuent de s’écouler, purs et imperturbables.» (Bukkyo Dendo Kyokai, 1977: 33-34)

La même séparation entre le signifiant et le signifié s’est produite dans la musique baroque. Nous savons que ce qui est appelé, au XIXe siècle, Affektenlehre, faisait organiquement partie de la musique de l’époque baroque. De plus, le phrasé de cette musique imitait souvent l’intonation et l’articulation d’un dialogue parlé, et beaucoup de caractéristiques sonores de cette musique constituaient aussi les signifiants de significations affectives et religieuses. Nous ne sommes plus conscients de ces associations symboliques quand nous écoutons ces œuvres. Quand, récemment, il était en vogue d’interpréter cette musique d’une manière soi-disant «authentique», des gens comme Nikolaus Harnoncourt étaient très conscients – comme il l’expose dans ses derniers écrits – que les interprétations authentiques proposaient une coquille vide, puisque nous entendons le bon phrasé, le bon signifiant, mais pas le signifié qui lui était associé à l’époque, signifié que le musicologue peut reconstruire grâce à la recherche historique, mais qui reste inaccessible à l’auditeur d’aujourd’hui. Parlant de La Passion selon saint Matthieu, Harnoncourt écrit: «[Cette musique] était alors, bien plus qu’aujourd’hui, immédiatement perçue comme un langage, avec de nombreuses possibilités d’expression. Ce vocabulaire ne nous touche guère, parce que nous ne le connaissons plus et qu’il ne nous est plus naturel. (1985: 281) La perte de significations symboliques présentes dans la musique occidentale a conduit à la conception formaliste de la musique décrite par Hanslick dans son livre marquant de 1854, Vom Musikalisch-Schönen (Du beau dans la musique).

Alors que le contexte religieux lié à la technique de gorge a disparu chez les Inuit, la technique vocale spécifique du genre est restée. Mais soit la fonction ludique a survécu seule, soit elle a remplacé le signifié religieux attaché au signifiant vocal. Ceci n’implique pas que les jeux de gorge ne signifient rien aujourd’hui. Ils signifient autre chose et ont une fonction ludique et compétitive. Les signifiants sont restés, les signifiés ont changé.

Cette dimension diachronique explique les dissonances d’information entre les informateurs. Puisqu’aucun de nos informatrices de Cape Dorset, de Sanikiluaq et de Payne Bay n’a jamais insisté sur l’influence que ces jeux peuvent exercer sur les animaux et les éléments de la nature, il semblerait que le témoignage d’une seule personne, Alassie Alasuak, à Puvignituk, puisse être remis en question. En fait, Alassie transmettait des informations qu’elle avait apprises de ses parents et de ses grands-parents et qui venaient de la période chamanique de la culture inuit. La pointe d’un iceberg symbolique, si je peux m’exprimer ainsi pour parler de la musique du grand Nord! Un morceau d’information provenant des temps anciens de la culture inuit, mais qui appartient au domaine des associations symboliques encore très vivante chez les peuples sibériens d’aujourd’hui.

Des cultures dont on connaît les relations, peuvent utiliser des signifiants identiques ou similaires, mais sémiologiquement, elles ne fonctionnent pas selon la même horloge historique.

 

Notes

1 Cet article, resté inédit en français, a paru dans la revue Ethnomusicology, vol. XLIII, No. 3, automne 1999, pp. 399-418, sous le titre: «Inuit Throat-Games and Siberian Throat Singing: a Comparative, Historical, and Semiological Approach.» Je remercie Marie-Ève Thuot qui, grâce à une subvention du Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada, a procédé à l’adaptation française de l’original anglais. J’en ai révisé le texte pour la présente publication. Il était lui-même la version révisée de la conférence Charles Seeger présentée au congrès annuel de la Society for Ethnomusicology à Toronto, le 2 novembre 1996. Le texte de la conférence avait été adapté en raison du manque de documents visuels et sonores dans la version-papier. L’auteur remercie Roberte Hamayon, Henri Lecomte, Jean Molino et Bruno Nettl pour leurs commentaires critiques. Quelques éléments de cette conférence ont été présentés à Tokyo le 22 mai 1998, pour la réception du Koizumi Fumio Prize en ethnomusicologie.

2 Il s’agit d’une écriture phonologique. Il devrait être prononcé «katadjark». Katajjait est la forme plurielle.

3 Pour les livres, le lecteur peut consulter Pelinski (1981) pour les Inuit du Caribou, Cavanagh (1982) pour les Inuit Netsilik, et Hauser (1987) pour la musique du Groenland. En ce qui concerne les enregistrements, les chants de danse à tambour sont largement présents dans Pelinski (1990) pour les Inuit du Caribou, dans Hauser (1992) pour le Groenland, dans Nattiez et Conlon (1993) pour les Inuit Iglulik, et dans Le Mouël-Desjacques (1994) pour les Inuit du Cuivre.

4 Spécialement Nattiez et al., 1989, et Nattiez et al., 1991.

5 Ce système de notation a été proposé par Nicole Beaudry (1978a) et Claude Charron (1978).

6 Les références de ces disques 78 tours sont VC-27 (51) et VC-34 (65). À ma connaissance, un seul enregistrement de rekutkar est aujourd’hui accessible dans une collection de disques en plastique, publiée en 1965 par la NHK (Japanese Broadcasting Corporation): Ainu Dento Hongaku [Ainu Traditional Music] (disque 1, face 1, pièce 7).

7 Je suis redevable à François Delalande (Groupe de Recherches Musicales, Paris) d’avoir proposé le concept de chaîne pour caractériser la perception du katajjaq. Son observation rejoint un phénomène auquel les psychologues de la perception ont consacré beaucoup d’attention, la formation de courants auditifs (pitch streaming) que l’on rencontre aussi bien dans des œuvres de Bach que dans le dernier mouvement de la Sixième symphonie de Tchaïkovski. On en trouvera une présentation en français et des références in Sloboda 1988: 215-220.

8 Tel que démontré par Nicole Beaudry dans un travail non publié.

9 Inuit Throat-games and Harp songs. Eskimo Women’s Music of Povungnituk. Canadian Music Heritage Collection, MH 1001, WRC1-1349 (Music Gallery Editions, Toronto, 1980).

10 Communication personnelle de Christopher Hatzis (Halifax, juin 1998).

11 Les missionnaires anglicans les oublièrent après 1920 (Montpetit-Veillet, 1984: 64). L’anthropologue Asen Balikci put encore les enregistrer en 1958 à Piuvignituk où, comme dans d’autres endroits du nord du Québec, les missionnaires catholiques ont encouragé la renaissance des genres traditionnels.

12 Communication personnelle du professeur Oshima, Sapporo.

13 Voir note vi. La pièce à laquelle je fais allusion est disponible sur la face 8 de ces séries de quatre enregistrements, plage 59.

14 J’ai établi ce fait en utilisant la «méthode Arom» de l’enregistrement en play-back. J’ai dit aux informatrices que je voulais enregistrer différentes chanteuses seules. J’ai demandé qui voulait être enregistrée en premier. Une fois que ce fut fait, j’ai demandé qui aimerait enregistrer sa partie tout en entendant la première voix sur un casque d’écoute. Quand j’ai posé cette question aux autres femmes, elles ont toutes déclaré vouloir enregistrer leur propre partie en écoutant la première voix principale.

15 Présenté au Native Folk Festival-Symposium, Magadan (Sibérie russe), 27 juin 1994.

16 Il est possible de comparer le katajjaq et l’ihamma en écoutant les plages 12 et 13 du premier enregistrement de la série Les voix du monde, une anthologie des expressions vocales/Voices of the World, an Anthology of Vocal Expression, publiée par le Laboratoire d’ethnomusicologie du Musée de l’homme à Paris (Harmonia Mundi, CMX 374 1010.12). Les similitudes avec les chansons de Bahreïn, de Madagascar et du Kenya sur le même enregistrement méritent aussi d’être examinées.

17 En suivant le 65e parallèle, la distance entre Anadyr (dans l’aire des Tchouktches) et le sud de la terre de Baffin est exactement de 5000 kilomètres.

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