Une nouvelle tendance : l’opéra basé sur un film

Alors que l’opéra passe pour un genre vieilli, les institutions multiplient les commandes d’œuvres tirées d’un film pour dépoussiérer son image.

En mars 2023, le Grand Théâtre de Genève a accueilli la création mondiale de Voyage vers l’espoir de Christian Jost, basé sur le film Reise der Hoffnung (1990) de Xavier Koller. Ce nouveau répertoire recourant au cinéma comme source, plutôt qu’à la littérature ou au théâtre, ne se limite, toutefois, pas à une opération de rajeunissement de l’opéra. Alors que nous sommes habitué·es à voir un opéra adapté en film, le mouvement contraire surprend et invite à se questionner sur les notions d’opératique et de cinématographique qui accompagnent le débat autour de ce nouveau genre, présenté comme s’écartant de la tradition opératique. Dans Film into Opera: From Operatic to Cinematic Dramaturgy, nous testons la validité de cette hypothèse par une analyse de l’adaptation de certaines œuvres-clés de cette catégorie d’opéras, afin de déterminer s’il est suffisant de changer le type de source pour substantiellement modifier la dramaturgie et créer ainsi un « opéra cinématographique ».

Du film à l’opéra

Dans Orphée (1993), Philip Glass adapte le film éponyme (1950) de Jean Cocteau en conservant son texte. Invoquant des questions de longueur, il effectue des coupes, présentées comme n’affectant pas l’œuvre originale. Toutefois, une étude approfondie permet de déterminer que l’élagage n’a rien d’innocent. En effet, Glass réarrange les séquences fortement cinématographiques, comme celles qui reposent sur de nombreux changements de plans. De cette manière, il recrée une dramaturgie opératique traditionnelle et évite des problèmes de mise en scène. Ainsi, il ne livre pas un opéra cinématographique, mais un opéra tiré d’un scénario.

Dans Brief Encounter (2009), André Previn adapte le film éponyme (1945) de David Lean, mais se base aussi sur Still Life (1936), la pièce
de théâtre de Noël Coward à l’origine du long-métrage. Alors que le film recourt abondamment à la voix off de l’héroïne, ce qui amène le public à s’identifier à elle, Previn y renonce. Afin de donner accès au monde intérieur des personnages, il privilégie les airs, répartis entre tous les protagonistes, ce qui change considérablement la narration. En outre, il transcrit certains cadrages rapprochés, focalisant l’attention sur un personnage, par des procédés opératiques qui prouvent ainsi que sa dramaturgie n’est pas cinématographique.

Dans The Exterminating Angel (2016), Thomas Adès adapte le film éponyme (1962) de Luis Buñuel, mais ajoute d’autres textes, afin de souligner certains aspects non développés dans le long-métrage. De plus, il tend à regrouper les passages de discussion sur un même sujet qui sont disjoints dans le film, remplaçant le ton de conversation par une narration linéaire. Il crée ainsi des airs, duos, trios ou ensembles et revient à une dramaturgie opératique traditionnelle.

Grâce à l’étude de ces trois cas, Film into Opera: From Operatic to Cinematic Dramaturgy montre à quel point les adaptations d’un film en opéra peuvent différer. Toutefois, les œuvres analysées ne sont pas à proprement parler des opéras cinématographiques puisque, d’une façon ou d’une autre, elles reviennent à une dramaturgie opératique classique. Quoi qu’il en soit, leur étude offre des outils pour évaluer les processus d’adaptation employés dans les opéras basés sur des films et met en évidence un corpus fascinant de nouvelles œuvres, appelé à s’enrichir dans les prochaines décennies.

 

Pour en savoir plus
Delphine Vincent, Film into Opera: From Operatic to Cinematic Dramaturgy, Lucca, Libreria Musicale Italiana, 2023, 

lim.it/it/saggi/6494-film-into-opera-9788855431842.html

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