Verbier, en quête d’absolu au sommet
A Verbier, la magie musicale opère, sans frontières, entre puissance de la roche et profondeur sonore quasi océanique. En totale immersion sous la chape acoustique, plus favorable au carré d’or, comme le chocolat, de la salle des Combins, qu’aux derniers rangs dont les spectateurs déplorent le son. Dans ce programme, la quête d’amour domine, mettant en scène des unions exceptionnelles et durables dont on célèbre le cinquantenaire.

D’un côté, Martha Argerich et Mischa Maisky, cinquante années de collaboration et de l’autre, le cinquantième anniversaire de la disparition de Chostakovitch, incarné par le russe Evgeny Kissin, entre autres : Verbier voyage entre les sommets de la Russie à l’Asie.
La musique transcende les aspérités politiques au cœur de la montagne, rendant hommage à la grandeur de la culture russe qui doit être, selon sa profonde tradition, liée à l’âme. Entre glissements harmoniques, questionnements existentiels et percées de lumière éclatante, l’ouverture d’esprit et l’intégrité de Chostakovitch renaissent de son éternité, à travers la puissance d’une palette sonore et sensorielle vibrante dont Evgeny Kissin a conçu le programme. Est-ce une histoire de puissance, de grandeur qui façonne les grands musiciens russes ? Il semble y avoir deux courants, représentés symboliquement à Verbier. D’un côté l’ampleur du geste, la fluidité et la puissance sous la baguette théâtrale, exacerbée de Currentzis ; de l’autre la patte féline, veloutée, vigoureuse et intérieure de Kissin. Ses antagonismes sont peut-être le reflet de l’ADN russe, tiraillé entre gloire, quête d’absolu, humilité, générosité et intériorité de l’âme. Le grand écran de Verbier projette le spectateur-récepteur dans une fascinante immersion. Chostakovitch nous entraîne dans une grande chevauchée des émotions, dans un temps présent en fusion ; urgence, nécessité, désir d’absolu et quête de lumière, dont le public reflète la parfaite plénitude à la sortie, nous permettent d’oublier les événements de l’actualité. Certains spectateurs au quatrième rang crient, « vive la Russie », se régalant de provoquer sans être réprimandés. A table, le soir, on entend parler quelques figures du management de Verbier, on discute, ils soulignent que Currentsiz draine un grand public fervent, donc porteur pour les ventes, mais que cet aspect théâtral n’est pas le seul ingrédient nécessaire à la beauté musicale, les profondeurs dépassent la théâtralité. Ces paroles reflètent que Verbier n’est pas qu’apparence et faste, mais un vrai terreau de passionnés et de grands talents. Teodor Currentzis, Russe et Alexandre Kantorow, Français, rappellent le grand lien culturel entre la France et la Russie d’antan avec la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov.
Puis, encore plus haut de ce sommet, le projecteur se pose sur le cinquantenaire de la complicité musicale de Martha Argerich et Mischa Maisky, gravée dans un coffret LP dont Martin T:son Engstroem évoque la conversation vivante, la chimie musicale, le coup de foudre musical inévitable devant cette puissante affection et complicité.
Les choix d’Evgeny illustrent la palette infinie d’émotions et styles du compositeur. L’union est maître mot de ces concerts phares du « Verbier », mettant sous les feux de la rampe la conversation subtile, fascinante, tissée par des jeux colorés de Martha Argerich et Evgeny Kissin, dans le Concertino en La mineur, opus 94. Kissin retient le temps, accroche le silence du poing serré dans l’espace, entre percée de lumières et ostinato lancinant, il porte avec respect le jeu d’Argerich ; elle surplombe ce tapis rouge déroulé, feutré. Antoine Tamestit et Evgeny Kissin clôturent cette dédicace avec la sonate pour alto et piano op. 147 de 1975, que Chostakovitch a composée quelques jours avant sa mort. Dans cette œuvre, le compositeur illustre son désespoir austère et sa résignation face à la mort et confie « Je n’ai jamais la paix, et je ne l’aurai probablement jamais ». La persécution, les jugements, l’adversité sont transcendés à jamais par sa musique à laquelle Verbier rend hommage. Le Festival est clôturé par une interprétation juste, parfaite, du Concerto no 1 de Tchaïkovski, dirigé par Paavo Järvi, dans laquelle l’attitude théâtrale de Khatia Buniatishvili rayonne. Néanmoins, certains journalistes critiquent le temps d’attente, les imprévus, et la qualité médiocre de ce concert, mais la tolérance est un mot que l’on ne devrait oublier dans aucune situation, quand l’âme musicale répond présente.
Ceci sera suivi d’une subtile interprétation de la Symphonie no 1 de Gustave Mahler avec la fougue, les clins d’œil entre le chef d’orchestre et la jeunesse rafraîchissante, joueuse, d’apprentis sorciers du Verbier Festival Orchestra. Galina, pianiste russe d’immense talent et pédagogue de la liaison entre son, détente et âme du pianiste, désirant rester dans l’ombre des projecteurs, analyse : « Khatia Buniatishvili est parfaite pour le Concerto no 1 pour piano et orchestre de Tchaïkovski, elle y est comme un poisson dans l’eau, théâtrale, mélancolique, puissante, perlée, dramatique : tous les ingrédients que Tchaïkovski aborde, car c’était un homme de théâtre, un compositeur dramaturge symphoniste. Ce concerto est un ballet, il ne faut le jouer ni trop fort – ne pas frapper les accords comme beaucoup de pianistes le font – ni trop immobile. Tchaïkovski pose des questions : comment grandir dans ce monde ? Il ouvre la porte à la grandeur de l’esprit. »