Musiciens romands : la colère devient manifeste

Nous avions publié la lettre ouverte de Sara Oswald et les dessins de Meimuna dans notre numéro 06-07/2025. Leurs démarches ont pris de l’ampleur.

Sara Oswald a publié sur Facebook une lettre intitulée « Invisibles ». Foto: Holger Jacob/archiv RMS

Cela commence par une voix singulière, presque fragile. Le 1er mai 2025, la violoncelliste Sara Oswald publie sur Facebook une lettre intitulée « Invisibles ». Invisible parce que déjà trop âgée – 47 ans – pour être encore présentée comme une artiste émergente. Invisible parce qu’épuisée de courir pour des cachets dérisoires à l’autre bout de la France. Invisible enfin, parce que ses demandes de soutien se perdent dans des guichets saturés.

Quelques jours plus tôt, la chanteuse valaisanne Meimuna avait déjà ouvert la brèche. Lauréate du prix de l’Académie Charles Cros en 2021 et du prix culturel de la Ville de Sion en 2025, elle publiait sur Instagram une série de dessins au titre sans appel : « Faut-il quitter le monde de la musique ? ». Le doute, cette fois, prenait forme dans l’image : celui d’une génération qui crée encore, mais qui ne sait plus si elle pourra tenir.

Ces signaux isolés vont très vite résonner. Sara Oswald décide que trop, c’est trop. Elle met en ligne un questionnaire, comme une bouteille lancée à la mer, et invite ses pairs à y répondre. Sandor et Verveine, deux compositrices et interprètes, la rejoignent dans l’aventure. Ensemble, elles tentent de transformer ce matériau brut en un texte commun, épaulées par la Fédération des musiques genevoises de création (FGMC), structure militante qui défend depuis 2019 les droits des musiciens à Genève.

Le manifeste prend forme. Les témoignages sont multiples, mais une ligne traverse tous les récits : la précarité financière. Dans sa version finale, diffusée le 18 septembre (en copie ci-dessous), ce manque d’argent devient le cœur du texte. Les artistes indépendants, déjà sommés d’être aussi auto-entrepreneurs, doivent désormais endosser la casquette du militant. Leur appel n’est pas seulement celui d’individus isolés : il dit l’épuisement d’un écosystème musical.

Comme pour enfoncer le clou, quelques jours après la parution du manifeste, la Fondation bâloise Arvore, engagée dans le soutien au long cours des artistes, publiait un rapport glaçant. On y lit que les revenus des musiciens et musiciennes restent inférieurs de plus de moitié au revenu médian suisse. « Nous considérons ces chiffres comme un signal d’alarme pour le financement public de la musique et la politique. Davantage de moyens sont nécessaires pour la création musicale indépendante. »

Un cri, puis d’autres, et enfin une voix commune. Aux politiques d’y répondre enfin !

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Manifeste des musicien·ne·x·s romand·e·x·s

Cher public,

Vous qui nous soutenez, et sans qui notre travail n’aurait aucun sens, sachez que malgré la richesse de la production musicale suisse et l’offre foisonnante d’événements musicaux dans notre pays, la majorité des musicien·ne·x·s romand·e·x·s vit au-dessous du seuil de pauvreté.

Les cachets de concerts ne permettent pas de nous rémunérer dignement et, bien souvent, nous sommes payé·e·x·s uniquement pour nos apparitions scéniques, alors que plus de la moitié de notre travail se fait hors scène : répétitions, composition, production… En raison de nos faibles revenus et des heures de travail non rémunérées, nous souffrons également d’un accès limité, voire inexistant, aux assurances sociales. Au final, ni les cachets de concerts, ni les subventions, ni les ventes, ni les droits d’auteur·ice·x·s ne couvrent les coûts de production et le travail nécessaire à la création et à la diffusion de nos musiques.

En Suisse, les musiques actuelles sont de loin les plus écoutées. Pourtant, alors que l’économie du streaming prospère, nous sommes les plus grand·e·x·s perdant·e·x·s de ce système : la plupart des artistes suisses ne perçoivent rien des abonnements que vous payez aux plateformes comme Spotify, Apple Music, etc.

Cette précarité financière et la nécessité de jongler entre plusieurs emplois pour subsister réduisent l’espace nécessaire à la création artistique et conduisent souvent à l’abandon de nos carrières. Un grand nombre de musicien·ne·x·s jettent l’éponge après quelques années.

Vous pouvez nous soutenir : écoutez et achetez notre musique, venez à nos concerts, partagez ce manifeste autour de vous !

Au nom des musicien·ne·x·s romand·e·x·s, nous demandons une augmentation des fonds publics pour les musiques actuelles, ainsi que l’élaboration, en partenariat avec les autorités et autres acteur·ice·x·s du milieu, d’un modèle viable et équitable pour tou·te·x·s.  

Soutenir les musiques actuelles, c’est garantir des conditions de travail dignes, mettre fin à une précarité devenue la norme et renforcer l’emploi local, car un·e·x musicien·ne·x ne travaille jamais seul·e·x.

Merci de votre soutien. Nous nous réjouissons de vous retrouver lors de prochains concerts pour de nouveaux moments de partage, si précieux !

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