Ravel l’insaisissable
Karol Beffa rend hommage à Ravel, à l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance, tandis que les éditions Infolio continuent à faire paraître des biographies de musiciens suisses.

A la fois artisan dont la perfection du métier était comparée à celle d’un horloger suisse (son père était d’ailleurs d’ascendance helvétique) et grand enfant espiègle, entouré dans sa maison-refuge Le Belvédère d’une multitude de bibelots improbables et volontiers factices (mystifiant les visiteurs, tous les objets de son « salon japonais » étaient des contrefaçons), et d’automates qui lui causaient une grande joie, Ravel, tout aux merveilleux jeux sublimés de la composition et de l’orchestration, prenait un plaisir malicieux à multiplier les contraintes, lesquelles, loin de restreindre son inventivité, le forçaient à explorer de nouvelles voies. Affrontant les obstacles avec une inébranlable volonté, ce véritable prestidigitateur resserre son écriture et sort victorieux de cette ascèse délibérée. Cherchant son inspiration dans le féérique, dans les sons et les atmosphères de l’Espagne ou de l’Orient, pastichant avec raffinement, par exemple dans l’Enfant et les Sortilèges, il possède le don rare d’émerveiller, à l’image du foisonnant Lever du jour du ballet Daphnis et Chloé, et d’inquiéter, comme Le Gibet tiré de Gaspard de la Nuit. En 34 chapitres concis et agréables à la lecture, Karol Beffa raconte diverses facettes de la vie, de l’œuvre et de la fort discrète personnalité de celui dont le monde musical célèbre cette année le 150e anniversaire de la naissance. Il y ajoute des souvenirs personnels en rapport avec les œuvres, qu’il décrit brièvement en allant à l’essentiel, témoignant de la manière dont Ravel l’a influencé comme interprète, compositeur et passeur de musique. Cet ouvrage accessible à tous réussit à nous rendre plus proche l’insaisissable auteur des Miroirs, timide et hypersensible, et à nous le faire encore plus aimer.
Karol Beffa : En avant la musique ! Maurice Ravel, 208 p., € 14.00, Editions des Equateurs, Paris 2025, ISBN 9782382848029
Monographies en format de poche
En peu d’années, la collection Presto des éditions vaudoises Infolio s’est déjà enrichie d’une cinquantaine de brèves monographies en format de poche – autant d’invitations à mieux connaître ou à découvrir des personnalités suisses du passé récent ou plus lointain, écrivains, artistes visuels, philosophes, notabilités historiques, et bien sûr musiciens. La soixantaine de pages de chaque opuscule est agrémentée d’une seyante iconographie.
Disparu il y a 75 ans, le compositeur Emile Jaques-Dalcroze est évoqué par James Lyon. Décelant diverses influences décisives exercées sur le créateur de la rythmique éponyme, telle que sa double formation théâtrale et musicale, sa jeunesse viennoise et ses études en Autriche et en France, son éphémère poste de chef d’orchestre à Alger qui lui permit d’entendre la musique arabe et ses rythmes, ou encore sa rencontre du précurseur Mathis Lussy, l’auteur retrace la progressive élaboration de la méthode pédagogique dalcrozienne, sa révolutionnaire mise en œuvre à Hellerau, en Allemagne, avant que la Première Guerre mondiale n’y mette terme, et la fondation de l’Institut qui porte son nom. Infatigablement, grâce à son indéfectible vitalité, le Genevois s’employa à ce que corps et esprit soient unis par et pour la musique, inspirant durablement nombre de compositeurs, de chorégraphes et de danseurs du monde entier.
D’origine russe, le pianiste Nikita Magaloff passa la majeure partie de sa vie au bord du Léman. Son enfance, au cours de laquelle il fit connaissance avec Prokofiev et Rachmaninov, son éducation pianistique, surtout auprès d’Isidor Philipp dont il retint le jeu perlé, ses premiers concerts, durant lesquels il fut l’accompagnateur du célèbre violoniste Joseph Szigeti, nous sont contés par Jean-François Monnard. On se familiarisera avec les étapes de sa carrière, les contours de son vaste répertoire, les caractéristiques de son jeu, l’importance de ses activités de professeur attentif et tolérant, ainsi que sa vision humaniste de l’art et de sa transmission.
James Lyon :Jaques-Dalcroze – Le chantre de la joie, 64 p., Fr. 12.00, Collection Presto, Infolio, Gollion 2024, ISBN 978-2-88968-149-5
Jean-François Monnard : Magaloff – Prince des pianistes, 64 p., Fr. 12.00, Collection Presto, Infolio, Gollion 2023, ISBN 978-2-88968-088-7