La musique pour prendre soin et créer du lien

Trois hautes écoles vaudoises, dont l’HEMU, ont développé en collaboration avec des jeunes patients et patientes un jeu vidéo musical permettant de créer du lien.

Configuration de l’avatar 1. Tous les images sont des copies d’écran de « Groovy Park ».

Une étude récente (1) a examiné la prévalence de troubles mentaux dans un échantillon de 2038 jeunes, filles et garçons, âgés de 14 à 19 ans habitant en Suisse et au Liechtenstein : 45 % ont fait état d’un faible bien-être émotionnel, 37 % de dépression et/ou d’anxiété, 45.7 % d’idées suicidaires et 8.7 % d’une ou plusieurs tentatives de suicide. La santé mentale des jeunes constitue donc une préoccupation majeure en matière de santé publique. En mars 2024, un papier de position de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse réclame des actions fortes et durables, notamment l’élargissement des offres de prévention et de prise en charge, et recommande d’impliquer les jeunes dans l’élaboration de ces offres (2).

Configuration de l’avatar 2

 Nouveaux courants vidéoludiques

Les jeux vidéo font partie des ressources susceptibles d’aider les jeunes en difficulté, voire en décompensation psychologique. Différentes recherches montrent qu’ils ne constituent pas uniquement un facteur de risque pour la santé physique et mentale, notamment en cas de pratique excessive, mais qu’ils contribuent à nourrir la vie imaginaire, affective et cognitive, et à jouer un rôle constructif dans les psychothérapies pour adolescents et jeunes adultes (3).

Depuis quelques années, des objets ludiques novateurs pensés autour des notions de bien-être, de santé et d’éthique défient les standards classiques et les modèles dominants de la sphère du divertissement numérique : les wholesome games qui proposent une ambiance reposante et légère, les slow games caractérisés par une fréquence d’interaction minimale – un mouvement par jour –, les empathy games dont les scénarios reposent sur des histoires profondes et touchantes, les cosy games qui mettent l’accent sur la non-violence et la détente, les zen games conçus pour favoriser la relaxation, la concentration et la conscience de soi, ou encore les care games qui stimulent la compassion, le pouvoir d’agir, l’expression émotionnelle et la coopération, tout en réduisant le stress et en renforçant les relations positives (4).

Baladeur 

Rôle central de la musique

La musique est une autre ressource qui contribue au bien-être mental et social des jeunes. Il est établi qu’elle joue un rôle clé dans la régulation des émotions, le renforcement des relations sociales ou encore la réduction du sentiment de solitude qui accompagne les troubles psychiques, mais qui touche également celles et ceux en bonne santé psychologique. La musique aide à traverser les mauvais moments. Elle favorise la construction identitaire des adolescents et adolescentes, car elle leur offre la possibilité de se démarquer des adultes tout en s’identifiant à leurs pairs. Finalement, elle constitue un espace d’expression et de créativité.

Scène musicale

Projet Amuze-toi !

Le projet « amuze-toi ! » est parti de ces constats. Mené par trois hautes écoles spécialisées du canton de Vaud, l’HEMU, l’HESAV et la HEIG-VD en partenariat avec le studio digital Tourmaline, l’Institut maïeutique (IM) et l’Unité d’hospitalisation psychiatrique pour adolescents (UHPA) au Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHUV, il avait pour objectif le co-développement avec des jeunes patients d’un care game favorisant le bien-être, la confiance en soi, l’expression émotionnelle et les interactions positives à travers la création musicale.

Séquenceur

Faire émerger les attentes et les préférences

Au printemps 2023, un premier atelier a offert un espace de partage autour de la musique et des jeux vidéo. Un échange de groupe, suivi d’un questionnaire individuel, a permis de recueillir les préférences des participants et participantes concernant l’usage de la musique à des fins ludiques ou thérapeutiques. Ces échanges ont révélé des attentes récurrentes : un univers doux et rassurant, la possibilité de s’exprimer par la musique, des interactions optionnelles mais enrichissantes, une approche inclusive et une place pour la créativité.

A partir de ces données, cinq scénarios de jeu comprenant à la fois musique, créativité, coopération et partage ont été élaborés, puis soumis à l’appréciation des patients, des chercheurs, de professionnels de la santé et d’un groupe témoin de jeunes en bonne santé mentale. Le scénario « Dialogue Musical », fondé sur des échanges musicaux entre des avatars évoluant dans un environnement doux et inclusif, s’est distingué et a été retenu.

Boutique

Mobiliser les compétences vidéoludiques des jeunes

La phase de développement du care game s’est étendue de l’été 2023 à l’automne 2024. Elle s’est principalement déroulée à l’IM qui propose une prise en charge sur le long terme, ce qui a permis une continuité dans la participation des jeunes tout au long du processus. La nature aiguë des hospitalisations à l’UHPA limitait les possibilités d’engagement sur la durée ; l’implication des jeunes y a donc été ponctuelle.

Neuf ateliers ont été planifiés en fonction de l’évolution du jeu, des premières maquettes aux versions jouables. Les patients et patientes ont pris part à la définition des moindres détails :

  • Design visuel : apparences des avatars (vêtements, coiffures), lieux et paysages,
  • Environnement sonore : création d’ambiances musicales variées, de sons de nature, conception d’un séquenceur pour composer des morceaux (styles musicaux, instruments),
  • Gameplay : activités du parc (création d’avatars, composition collective, musique live, piste de danse, interactions diverses avec d’autres avatars).

Grâce aux retours des jeunes, le jeu s’est enrichi d’idées créatives : une carte pour faciliter l’orientation, une option « baladeur » signalant qu’un avatar est plongé dans sa musique et momentanément indisponible. Leur vigilance quant à l’inclusivité a conduit à ajouter le pronom iel, en plus du il et elle pour désigner son avatar. Enfin, iels ont choisi le nom du jeu : Groovy Park.

Cercle de musique

Premiers retours et ajustements

A l’issue de plus d’une année de travaux et de cocréation, un premier prototype stable a vu le jour à la fin de l’été 2024. Dès septembre, des tablettes équipées du jeu ont été fournies aux deux institutions partenaires, accompagnées de fiches explicatives pour guider les équipes. Un mois plus tard, après une période d’utilisation en autonomie, les équipes soignantes et encadrantes ont partagé leurs retours. Le jeu a rapidement trouvé sa place dans les deux institutions. Il a souvent été utilisé en groupe, bien que certains aient préféré jouer seuls, notamment ceux et celles qui ont tendance à s’isoler. Des remarques concrètes des patients ont permis d’identifier des pistes d’amélioration ou la résolution de bugs techniques. Les soignants ont par ailleurs entamé l’exploration des usages thérapeutiques du jeu, par exemple en l’intégrant à des ateliers de musicothérapie.

Interactions

 Prendre soin et créer du lien

Début 2025, une phase de test plus longue a été lancée, cette fois à l’UHPA. Des sessions de jeu libre ont été proposées une fois par semaine aux jeunes patients et patientes. L’observation de ces sessions a rendu possible la documentation des interactions entre joueurs et joueuses, ainsi que l’impact de Groovy Park sur la dynamique collective et le bien-être des jeunes. De manière générale, leurs retours sont positifs. Même les sceptiques ou réticents a priori y ont trouvé leur compte d’une façon ou d’une autre. Des interactions riches et variées ont été observées, tant à l’intérieur du jeu (via les avatars) qu’au dehors (échanges de vive voix). Elles portaient par exemple sur l’apparence des avatars, la création de musique, ou des actions collectives comme chanter ou danser ensemble, se poursuivre ou jouer à cache-cache… Certains jeunes ont choisi de jouer en solo, pour composer leur propre musique. Ils et elles ont exprimé le souhait que le jeu intègre un studio qui permettrait un vrai travail de création et de composition.

Mare aux grenouilles

Conclusion

Dans le cadre d’une démarche de co-design fondée sur le partenariat patient, Groovy Park s’est élaboré avec la contribution active de jeunes patients et patientes, de l’idéation aux tests. Leur expertise expérientielle, conjuguée à leur familiarité avec les univers vidéoludiques et musicaux, a constitué un levier majeur pour produire un dispositif aligné sur leurs besoins, leurs préférences et leur culture.

Clip de présentation du jeu : youtu.be/q0vnk1I2G_8

Anmerkungen

(1) Barrense-Dias, Y., Chok, L., & Surís, J. C. (2021). A picture of the mental health of adolescents in Switzerland and Liechtenstein. Lausanne, Unisanté – Centre universitaire de médecine générale et santé publique (Raisons de santé 323). https://doi.org/10.16908/issn.1660-7104/323

(2) Galley, L. (2025, 10 février). Santé mentale des jeunes: quelles priorités? Reiso, Revue d’information sociale. https://www.reiso.org/articles/themes/enfance-et-jeunesse/13706-sante-mentale-des-jeunes-quelles-priorites

(3) Cox, A., Danilina, O., Fonesca. A., & Johnson. (2017). The effectiveness of serious video games on mental health related outcomes: Systematic review. https://discovery.ucl.ac.uk/id/eprint/1570493/

(4) Lefebvre Thillier, N. (2024). L’éthique du care et de la sollicitude dans les jeux vidéo contemporains : quelles nouvelles perspectives ? À l’épreuve, 10. https://hal.science/hal-04497711v1

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