Analisi, interpretazione e interazione
Actives depuis plus d’un tiers de siècle, les éditions Minerve accordent une place essentielle à l’art d’Euterpe dans leur catalogue.

Parmi les récentes publications des éditions Minerve, il faut signaler un précis d’analyse des formes musicales dans lequel un spécialiste de la question, Claude Abromont, a choisi une approche pédagogique partant non des formes abstraites, déjà synthétisées, mais des compositions elles-mêmes, et donc de l’imagination sonore vivante des créateurs. Ce voyage à l’intérieur des œuvres ne se contente pas de décrire la grande forme, mais analyse tous les aspects sous-jacents, du plus basique au plus complexe – langage, matériaux, timbres, phraséologie et fonctions formelles – avant d’aboutir au récit musical expressif, à sa rhétorique et à ses significations. Le but est de reconnaître aussi bien la logique des articulations du discours, la manière d’utiliser les matériaux et les raisons pour lesquelles ils sont mis en jeu, que les fonctions des différentes sections, afin que l’identification de la forme devienne une évidence toute naturelle, et non la recherche uniquement intellectuelle d’une structure figée. Outre une analyse approfondie du Preludio al Pomeriggio di un fauno, ce sont plus de 150 compositions, du Moyen Âge à nos jours, qui sont détaillées dans des vidéos de partitions annotées disponibles en ligne.
Plus spécifiquement consacré à l’étude du langage musical de la période baroque, un livre concis de Laurent Fichet suit l’évolution de ses principes, de la fin de la musique de la Renaissance à l’apparition de la notion d’accords et à l’affirmation de la tonalité, suite à la disparition progressive des modes médiévaux, pour des raisons tant mélodiques que contrapunctiques, au profit exclusif des modes majeur et mineur, ainsi qu’à la réduction du nombre de degrés harmoniques utilisés. En recourant aussi bien aux partitions et aux traités des musiciens et philosophes d’époque qu’aux théories plus récentes, le musicologue aborde différents sujets, en particulier l’accordage et les tempéraments, l’importance structurante des marches d’harmonie ou la question de la justification de la tierce mineure – cette dernière a en effet mis du temps pour être théoriquement acceptée, alors même qu’elle était déjà largement utilisée. On peut cependant regretter que ne soient pas davantage abordés les aspects mélodiques et rythmiques, de même que la rhétorique.
Sous la forme d’un lexique d’une cinquantaine de termes, le musicologue Philippe Lalitte propose une synthèse des connaissances actuelles sur les pratiques de l’interprétation musicale occidentale, du Moyen Âge à nos jours. De la formation des musiciens, leur entraînement, leur accès aux sources, leur analyse des partitions, leurs capacités de mémorisation ou leur santé, à la prestation scénique (y compris la programmation, les rituels du concert et l’acoustique du lieu), à l’enregistrement et à l’évaluation de l’exécution, les nombreuses facettes de l’art interprétatif sont mises en lumière, en tenant compte de leur évolution historique. On trouvera, entre autres, des notions techniques (comme le diapason, l’accordage, les tempéraments ou les effets sonores contemporains), esthétiques (telles la fidélité au texte ou l’authenticité), liées à l’expressivité du jeu (dynamique, phrasé, rubato, vibrato), aux modes d’exécution (doigtés, pédalisation, trémolo) ou à la part d’inventivité laissée aux interprètes (cadence, diminution, improvisation), ou encore des préoccupations récentes à l’instar de l’emploi des instruments d’époque et de la recherche des pratiques historiques d’interprétation. Bien entendu, malgré l’abondance d’informations aussi intéressantes que précises, on ne saurait s’attendre à ce que l’auteur fasse preuve d’exhaustivité dans un si vaste domaine, ainsi seule l’étude de quelques écoles pianistiques fait l’objet d’un chapitre, au détriment des autres instruments ; quant à l’entrée « ornementation », elle survole ses usages, du grégorien au milieu du 19e siècle sans les détailler, la bibliographie considérable pouvant au besoin y remédier.
Le dialogue entre les différents arts passionne depuis longtemps le monde culturel, surtout ces dernières décennies. Des siècles durant, peinture et sculpture n’ont figuré la musique que par des chanteurs ou instrumentistes la pratiquant, ou par la représentation d’instruments, alors que la musique a attendu le romantisme pour commencer à exprimer les émotions ressenties face à tel tableau, monument ou sculpture. En revanche, les interactions se sont multipliées au cours des 120 dernières années. Le vent d’expérimentation soufflant dès le début du 20e siècle a rapproché arts visuels et sonores. Parmi d’innombrables autres exemples : les formes musicales s’insèrent dans la réflexion de peintres tels que Kandinsky ; Kupka perçoit des rythmes et de la temporalité ; des expérimentations cinématographiques abstraites lient des événements graphiques aux sons ; des œuvres plastiques expriment le déroulement du temps ; Messiaen ressent fortement les phénomènes de la synesthésie ; les partitions de Crumb deviennent de véritables tableaux ; la disposition spatiale devient partie intégrante d’œuvres musicales non scéniques ; des installations sonores attirent l’attention des yeux autant que des oreilles. Le compositeur Jean-Yves Bosseur met sa vaste érudition à profit pour explorer les échanges fructueux entre les arts plastiques et la musique au cours des 20e e 21e siècles.
Claude Abromont : Précis d’analyse des formes musicles, 306 p., € 28.00, Éditions Minerve, Paris 2024, ISBN 978-2-86931-181-7
Laurent Fichet : Le Langage musical baroque. Éléments et structures, deuxième édition, 192 p., € 22.00, Éditions Minerve, Paris 2024, ISBN 978-2-86931-177-0
Philippe Lalitte : Vocabulaire de l’interprétation musicale, 240 p., € 21.00, Éditions Minerve, Paris 2024, ISBN 978-2-86931-180-0
Jean-Yves Bosseur : Musique et arts plastiques. Interactions au XXe et XXIe siècle, troisième édition, 342 p., Éditions Minerve, Paris 2024, ISBN 978-2-86931-179-4